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Diaspo #22 : Amidou Si M'Hammed ou le projet migratoire d'une vie

Ce natif de Tanger s'est longtemps impliqué dans le tissu associatif de Bruxelles, particulièrement auprès des jeunes issus de l'immigration. Dans son livre «Tangellois, non peut-être !», Amidou Si M'Hammed raconte le projet migratoire de ses parents. Portrait.

Le Belgo-marocain Amidou Si M'Hammed. Ph. Amidou Si M'Hammed
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Amidou Si M’Hammed voit le jour à Tanger il y a 58 ans. A huit ans, il quitte le Maroc et s’établit à Bruxelles par le biais du regroupement familial. «Je suis né dans un bidonville à Tanger», confie-t-il. Licencié en sciences politiques et en relations internationales, il s’investit dans le milieu associatif, notamment auprès des jeunes issus de l'immigration.

A la fin des années 80, Amidou devient coordinateur de l’association Jeunesse Maghrébine dans laquelle il organise des écoles de devoirs, des activités socio-culturelles, mais aussi des activités citoyennes permettant aux habitants d'être conscients des enjeux de la société. «Nous étions une pépinière de jeunes universitaires. Notre rôle était d’accompagner des jeunes en difficulté issus de l’immigration, notamment le décrochage scolaire». Jeunesse Maghrébine était également très présente dans le paysage politique : «On revendiquait un monde meilleur, on traitait les questions de discrimination que subissaient un certain nombre de personnes issues de l’immigration, le racisme, le droit de vote des immigrés, la discrimination à l’embauche…»

Son investissement va au-delà des frontières belges : «A l’époque, on essayait d’entrer en contact avec d’autres associations maghrébines qui offraient également des activités au niveau associatif, que ce soit en France, en Espagne ou aux Pays-Bas, pour essayer de voir quelles étaient les expériences en matière d’immigration.»

Une migration mélodieuse

Dans son livre, «Tangellois, non peut-être !», sorti fin novembre 2017, Amidou raconte la trajectoire migratoire de sa famille. Une trajectoire douloureuse, émouvante mais pleine d’optimisme.

Son père, ouvrier en bâtiment, perd son travail et la famille se retrouve sans le sou. «Mon père travaillait pour une grande firme de construction, mais cette dernière a perdu un certain nombre de ses contrats», explique-t-il. En effet, la situation économique du Maroc dans les années 60 a conduit plusieurs entreprises à déposer le bilan.

Amidou Si M'Hammed, à la sortie de son livre.Amidou Si M'Hammed, lors de la sortie de son livre.

Anéantie par cet avenir incertain, la mère de Amidou incite son mari à passer de l’autre côté de la Méditerranée. «Ma mère a réussi à convaincre mon père d’aller à la préfecture et de déposer une demande de passeport», lance-t-il. Découragé par la longue file d’attente, son père rejoint alors ses amis pour boire du thé. «Ma mère a été catégorique et l’a incité à réessayer ‘Layachi, demain tu pars faire ton passeport. Sinon, je t’attendrai avec un gourdin et tu ne rentreras pas à la maison’», se souvient-il. «Mon père n’avait pas le droit à l’échec, toute la famille s’était cotisée pour lui offrir ce voyage en Europe.»

Finalement, le père de Amidou parvient à obtenir son passeport. «Mon père s’est beaucoup appuyé sur la solidarité d’autres Marocains déjà installés en Belgique», raconte-t-il. Arrivé à Bruxelles, il est hébergé chez un ami, qui lui propose également un travail dans le BTP.

Deux ans plus tard, Amidou ainsi que sa mère et ses frères et sœurs parviennent à gagner la Belgique. «Mon père a vécu seul pendant deux ans, puis nous l’avons rejoint par le biais du regroupement familial», précise-t-il.

Réussir l’éducation de ses enfants

Né de parents illettrés, Amidou a fréquenté l’école locale dans son quartier à Tanger. «J’ai fréquenté l’école publique marocaine pendant quelque temps. Malheureusement, je n’en garde pas vraiment un très bon souvenir.» A l’école belge, il est l’un des seuls enfants primo-arrivants : «J’avais huit ans, les autres gamins en avaient six. Nous étions 15 écoliers, alors il était facile pour mon institutrice de s’occuper de moi à titre individuel.»

«L’Europe est une formidable occasion pour faire en sorte que ces enfants puissent aller à l’école. Je pense sincèrement que la case école faisait partie du projet migratoire de mes parents. Pour ma mère, réussir la scolarité de ses enfants était synonyme de réussite de son projet migratoire.»

 Amidou Si M'Hammed et son épouse, Carmen Rodriguez lors de la présentation du livre à l'Espace Magh.Amidou Si M'Hammed et son épouse, Carmen Rodriguez lors de la présentation du livre à l'Espace Magh.

L’école a été pour Amidou un lieu d’épanouissement formidable. «A l’école, on nous apprend à construire, à déconstruire, à être cartésien, à douter, à vérifier... Or, à certains moments, cela pouvait aller à l’encontre de certaines valeurs que mes parents me présentaient comme étant vraies, qu’il ne fallait surtout pas déconstruire», décrypte-t-il.

Baignant dans une double culture, il n’a pas toujours été facile pour Amidou, alors en pleine construction identitaire, de conjuguer les deux. «Pendant longtemps, je n’ai pas aimé la période de Noël car elle représentait un vecteur de frustration pour moi. C’est une période importante en Occident où règne un sentiment et une ambiance de fête. Or à la maison, on ne le fêtait pas», confie-t-il. «Ma mère nous achetait à moi ainsi qu’à mes frères et sœurs une bûche afin d’amoindrir cette frustration. Elle était analphabète mais avait beaucoup de bon sens.»

L’opportunité d’aller à l’école semble avoir beaucoup marqué Amidou. «Ma mère répondait présente aux réunions des parents. Elle était analphabète, étrangère devant une institutrice détenant un statut plus valorisant. Ma mère était consciente du rôle que représentait l’école pour l’ascension sociale. C’était pour elle une manière de nous inscrire et de nous stabiliser dans cette société», estime-t-il.

Une démarche interculturelle afin de pallier les incompréhensions

Conscient des difficultés du vivre ensemble, Amidou estime que seule la démarche interculturelle permet d’éviter les malentendus et de se comprendre dans une ville plurielle comme Bruxelles. En effet, Amidou pense que la qualité d’une société se mesure à la place qu’elle donne aux personnes défavorisées. «De nombreuses incompréhensions règnent au sein de la société belge. On essayait donc d’expliquer en tant que Belges, à d’autres Belges, certains comportements qu’ils ne parvenaient pas à comprendre», explique-t-il.

«La dernière fois que je me suis rendue au Maroc, c’était en 2013. J’ai pu découvrir Marrakech. Le Maroc représente mes racines… Evidemment il y a des choses qui manquent, ne serait-ce qu’en termes d’odeurs, de goûts. Je ne suis pas insensible à ce qui se passe au Maroc. Ce pays sera toujours mes racines. En revanche, la Belgique est mon pays de socialisation», nous dit-il lorsqu’on l’interroge sur son rapport au Maroc. Et Amidou de conclure : «Dans mon livre «Tangellois, non peut être», Tangellois est une contraction entre Tanger et Bruxellois. Bruxelles est ma ville d’adolescence, de jeunesse, et ma ville actuelle. J’ai vécu 8 ans à Tanger et 50 ans à Bruxelles, donc forcément Bruxelles prend plus de place.»

Amidou Si M'Hammed en compagnie de la ministre Belgo-marocaine Fadila Laanan.Amidou Si M'Hammed en compagnie de la ministre belgo-marocaine Fadila Laanan.

Amidou, à travers l’expérience migratoire de sa famille, revendique un monde plus juste, plus solidaire et plus égalitaire entre les citoyens d’un même pays. Depuis 2004, il est conseiller au cabinet de la secrétaire d'État à la région de Bruxelles-Capitale, également ministre-présidente du Collège de la commission communautaire française, Fadila Laanan.

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