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En Afrique du Nord, l’exploitation domestique reste monnaie courante, selon l’ONU

Le rapport annuel de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) rapporte que 70% des victimes de la traite des personnes sont les femmes et les filles. Ce crime reste largement impuni. En Afrique du Nord, Maroc compris, la traite domestique prime.

Photo d'illustration / Ph. iStock/aradaphotography
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Dans le monde actuel, les mis en cause dans des affaires de traite des êtres humains sont rarement traduits devant la justice. Le nombre total des condamnations dans ce sens est tellement faible que l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) indique que cet acte reste quasiment impuni. L’ONUDC le définit comme étant «toute sorte d’activité criminelle allant de l’exploitation sexuelle au prélèvement d’organes», en passant par le travail forcé et l’exploitation domestique. Dans les chiffres, pas d’estimations sur le nombre de victimes à travers le monde, mais les cas identifiés sont estimés à près de 25 000 jusqu’en 2016.

Dans son rapport de l’année 2018, rendu public lundi à Viennes, l’institution onusienne souligne que «la communauté internationale doit accélérer les progrès et la capacité de coopérer», afin de limiter cette pratique. Le document part cependant d’observations positives. Il fait savoir que «le nombre total de victimes de traite déclarées a augmenté», signe que «plus de personnes feraient l’objet de trafic, mais que les capacités nationales de détection de ce crime et d’identification des victimes s’améliorent dans certains pays».

La traite des êtres humains dans différentes formes reste fortement présente dans les Amériques et en Asie, comme le rappelle également Le Temps. «Bien que nous soyons loin de mettre fin à l’impunité, nous avons progressé au cours des 15 années écoulées depuis l’entrée en vigueur du Protocole contre la traite des êtres humains et quasiment tous les pays sont désormais dotés d’une législation qui la criminalise», ajoute encore l’ONUDC.

L’exploitation domestique, fléau de la région MENA

«Malgré une tendance récente en hausse du nombre de condamnations prononcées pour des faits relevant de la traite des êtres humains en Afrique et au Moyen-Orient, les condamnations dans ces régions restent très faibles», nuancent les rédacteurs du rapport.

Dans la région MENA, «les adultes constituent la grande majorité (86%) des victimes détectées en 2016, avec plus de femmes que d’hommes», tandis que la traite des mineurs bénéficie encore d’une opacité la rendant difficilement détectable. Ainsi, 46% des victimes reconnues comme telles sont des femmes, 40% des hommes, 10 des garçons et 4% des filles.

Dans la région, treize pays sont concernés par ce recensement, à savoir l’Algérie, l’Egypte, le Maroc, le Soudan et la Tunisie pour l’Afrique du Nord, ainsi que le Bahreïn, les territoires palestiniens occupés, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, la Syrie et les Emirats arabes unis pour le Moyen-Orient.

Source : ONUDC (2018)Source : ONUDC (2018)

Un contraste apparaît cependant entre deux sous-régions : «La majorité des enfants victimes ont été détectés en Afrique du Nord, alors qu’au Moyen-Orient, y compris les pays du Conseil de coopération du Golfe, presque toutes les victimes détectées sont des adultes.»

Cette disparité flagrante montre ainsi que dans notre région, 32% des personnes faisant l’objet d’une traite sont des femmes, 11% sont des filles, 24% sont des hommes et 33% sont des garçons. Au Moyen-Orient, les femmes représentent 52% des victimes, les hommes 47%, les filles 1% et les garçons 0%.

Dans les pays d’Afrique du Nord, l’ONUDC indique que le trafic domestique est le plus courant. Dans ce sens, 55% des victimes de la région MENA sont soumises au travail forcé, 36% enrôlées dans l’exploitation sexuelle organisée et 9% dans d’autres circuits de traite.

«Plus de 8 victimes sur 10 reconnues en Afrique du Nord en 2016 ont fait l’objet d’une traite dans leurs propres pays, mais également dans les régions les plus riches du Moyen-Orient et en Europe occidentale et centrale», fait savoir la même source.

Une autre forme d’exploitation observée en Afrique du Nord est celle de la mendicité forcée, de l’exploitation sexuelle et du prélèvement d’organes, selon l’ONUDC. «Dans les pays du Conseil de coopération du Golfe, les deux tiers des victimes ont fait l’objet d’une traite dans le cadre du travail forcé et les autres à des fins d’exploitation sexuelle», tandis que dans les autres régions du Moyen-Orient, «l’exploitation sexuelle et le travail forcé sont détectés dans des proportions presque égales», indique le rapport.

La difficile détection des victimes et l’impunité des criminels

Ce rapport confirme une observation soulevée sur le plan national par nombre d’associations féministes marocaines, concernant l’exploitation des femmes et des filles dans le travail de maison ou encore dans l’exploitation. Il est publié au moment où les ONG marocaines interpellent sur la non-applicabilité de la loi censée protéger les travailleuses employées dans des domiciles privés, notamment les mineures de 16 ans et plus.

Après l’annonce de l’entrée en vigueur de la loi 19.12 dans ce sens, la question de ses décrets d’application se pose encore à l’exécutif marocain, tandis que la loi 27.14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains ne condamne pas assez les auteurs de mauvais sévices, de travail forcé ou d’actes de violence répétée à l’égard des victimes, travailleuses de maison comprises.

Dans son rapport, l’ONUDC souligne en effet que «la plupart des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont introduit des lois criminalisant la traite des personnes après l’année 2009». Le revers de la médaille est que ces dispositions ne sont pas systématiquement mises en œuvre.

Par conséquent, «le nombre de condamnations enregistrées est généralement faible» et «un seul pays, les Emirats arabes unis, a enregistré plus de 50 condamnations en au moins un an au cours de la période 2014-2017». Avec l’Asie du sud, les Amériques et l’Afrique subsaharienne, la région MENA reste parmi celle qui enregistre l’un des taux les plus bas de condamnations pour 100 000 habitants.