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Pays-Bas : Récit de cinq jours de détention de trois artistes marocains à Eindhoven

En janvier dernier, Hamza El Karmoudi a fait partie de trois danseurs hip-hop qui participaient à un tournoi international prévu aux Pays-Bas, après avoir raté un premier, faute d’obtention de visa à temps pour acheter les billets d’avion. Mais il terminera son voyage dans un centre fermé et verra son visa annulé. Récit.

Aéroport d'Eindhoven aux Pays-Bas / Ph. DR.
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Le 12 janvier dernier, un tournoi de danse hip-hop aux Pays-Bas réunissait les professionnels venus de plusieurs pays. Parmi les candidats, trois membres du Collectif The Lions Crew devaient représenter le Maroc, dont Hamza, un jeune ayant la vingtaine. Après que cette mésaventure a été rendue publique, lundi, par Maria Daïf, actrice culturelle ayant accompagné les trois danseurs pendant quatre ans, Hamza El Karmoudi sort de son silence et se confie à Yabiladi.

En effet, à leur arrivée à Eindhoven (sud-est d’Amsterdam), les trois Marocains se sont vus refuser l’accès au territoire néerlandais. Pourtant, ils avaient des visas depuis le Maroc, leurs billets aller-retour, des centaines d’euros sur eux et des proches vivant en France, qui leur sont déjà venus en aide financièrement dans de précédents séjours en Europe.

«Au départ, nous étions invités au Hype&Hope, tournoi de danse très connu de la scène hip-hop et prévu le 5 janvier ; comme les visas ne nous ont été délivrés que le 28 décembre et que l’achat de billets d’avion à quelques jours d’intervalle nous coûtait cher, nous n’avons pas pu y assister, nous confie Hamza. Nous avons décidé de participer un deuxième, lui aussi prévu aux Pays-Bas à partir du 12 janvier pour représenter le Maroc, mais la police néerlandaise n’a pas accepté nos explications, surtout lorsque nous avons parlé de proches vivant en Europe. Elle a tout simplement décidé d’annuler nos visas».

«Traités comme des terroristes»

Avant cela, Hamza E. et ses amis disent avoir été soumis à une enquête des renseignements néerlandais «de midi à 22h à peu près». «Au moment où j’ai eu besoin d’un traducteur je n’y ai pas eu droit, nous affirme-t-il. On nous a demandé de signer des papiers en néerlandais dont nous ne comprenions pas le contenu, alors que nous leur répétions que nous étions des danseurs de hip-hop et que nous avions déjà joué dans des compétitions internationales».

Selon l’artiste, la police n’aurait pas déclaré aux trois danseurs qu’ils allaient être conduits dans un centre fermé près de Rotterdam.

«Ils nous ont dit que nous serions emmenés "dans un bon endroit". Nous avons été transportés dans des véhicules blindés comme si nous étions des terroristes».

Hamza E., danceur marocain de hip-hop

Sur place, l’un des danseurs est séparé des deux autres. Les mêmes questions lors des interrogatoires enchaînés depuis l’aéroport se suivent, pour savoir s’ils ont «déjà pensé au suicide, eu des relations sexuelles ou des ennuis avec la justice».

«Nous avons rencontré des ressortissants marocains et algériens dans ce centre et ils étaient tous choqués de nous voir sur place, nous affirmant que nous ne devions pas être là si nous étions venus avec des visas», nous confie encore Hamza, ajoutant que l’avocat mis à leur disposition le lendemain et présenté comme chargé de leur dossier «travaillerait plutôt avec la police néerlandaise, selon plusieurs migrants du centre». «Nous l’avons vu une seule fois, il devait revenir le lendemain mais nous n’avons plus eu de ses nouvelles. Il ne nous a expliqué à aucun moment que nous avions le droit de contester la décision de retrait de visa devant la justice», assure encore notre interlocuteur.

Au bout des cinq jours de détention, le Marocain dit avoir également reçu la visite d’un représentant consulaire marocain, qui «est resté impuissant face à la situation avant de reconnaître qu’il n’y peut rien, puisqu’il s’agit d’une décision des autorités néerlandaises sur leur propre territoire». «Dans ce cas-là, lesdites autorités auraient tout simplement pu nous refuser notre demande de visa depuis le Maroc», conteste l’artiste. Au final, lui et ses amis ont été reconduits via un avion Ryanair – «le moins cher» – en direction de Marrakech.

«S’ils voulaient avoir encore moins cher, ils auraient pu les laisser participer puis partir à la date prévue, puisqu’ils avaient leur billet de retour», s’exclame de son côté Maria Daïf, qui a pris connaissance de la situation au retour des concernés. Aujourd’hui, c’est surtout pour que de tels traitements ne se reproduisent pas que Hamza E. veut faire connaître son histoire, demandant explications et excuses des autorités. «Des avocats internationaux se proposent déjà pour les défendre», déclare Maria Daïf.

Les restrictions sur la mobilité des artistes se multiplient

Ironie du sort : ces restrictions subies par les trois artistes se sont déroulées au moment où une délégation culturelle néerlandaise se préparait à venir au Maroc, afin de réfléchir sur des pistes communes avec des artistes binationaux pour fructifier la coopération artistique entre les deux Etats et leurs opérateurs culturels.

«Au moment de la présence de la délégation culturelle flandre et belgo-marocaine au Maroc pour les mêmes raisons, une délégation néerlandaise était là aussi, tandis que les autorités des Pays-Bas interdisaient l’accès à des artistes marocains en leur retirant le visa en prime», s'insurge Maria Daïf. «C’est pour cela que les échanges sont de plus en plus difficiles et nous ne pouvons plus nous rendre en Europe dans ces conditions ; des festivals sont mis en difficulté à travers tout le continent, car la programmation est axée sur l’Amérique latine, le monde arabe et l’Afrique, dont les artistes sont de plus en plus indésirables», déplore cette actrice culturelle. Elle aussi avait subi, il y a un an, des restrictions pour sa participation à une rencontre prévue en Belgique. 

«Nous faisons les frais de politiques sécuritaires qui bloquent l’aboutissement de projets artistiques, surtout lorsque leurs initiateurs sont jeunes et jugés au faciès, soupçonnés de migration irrégulière ou de terrorisme».

Maria Daïf

Pour l'ancienne directrice générale de L’Uzine, le contexte nécessite «l’intervention de l’Etat marocain, qui doit lui aussi prendre ses responsabilités et défendre ses citoyens en dehors du pays, lorsqu’ils sont confrontés à de telles situations».

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