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«La domination masculine s’exerce dans toute la sphère publique» [Interview]

Fouzia Assouli, présidente de la Fondation euro-méditerranéenne des femmes (FEMF) et présidente d’honneur de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF), estime que les pouvoirs publics sont sourds à toute proposition visant à visibiliser les femmes dans l’espace public, en commençant déjà par baptiser des rues avec des noms de femmes.

Dimanche 10 mars, le MALI a initié une action de sensibilisation en renommant des rues et boulevards à Rabat par des noms de femmes marocaines ayant marqué l’histoire du royaume. / Ph. Page Facebook MALI
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Dimanche 10 mars, le Mouvement alternative pour les libertés individuelles (MALI) a initié une action de sensibilisation en renommant des rues et boulevards à Rabat par des noms de femmes marocaines ayant marqué l’histoire du royaume. A Casablanca, capitale économique, les noms de rues féminins se comptent sur les doigts d’une main.

Comment expliquer une telle invisibilité des femmes dans l’espace public ?

C’est la domination du patriarcat ! C’est un point que nous ne cessons de soulever depuis 2004. Déjà durant le mandat d’Abbas El Fassi, on avait ciblé sept partis politiques et trois syndicats. Plus récemment, on a organisé des journées de débats et de réflexion sur la question, encouragé les recherches sur le genre, mis au point des modules de formation sur les femmes et l’histoire, qui ont été enseignés à 500 enseignants et cadres associatifs à travers le Maroc. On a aussi fait des recommandations auprès des pouvoirs publics, demandé que certains boulevards à Casablanca soient rebaptisés par des noms de femmes connues qui ont marqué l’histoire du Maroc, mais ça n’a pas été entendu.

Les responsables politiques, qui façonnent les politiques publiques et l’imaginaire, qui sont censés changer les représentations, sont quasiment insensibles à cette question. Le constat est là : nous sommes face à une domination masculine de toute la sphère publique. C’est un axe, mais il y en a d’autres ; la visibilité des femmes et le rôle qu’elles ont joué dans l’histoire du Maroc est très peu connue. On a également revendiqué qu’il y ait, dans les programmes scolaires, une visibilité de toutes ces femmes qui ont régné et joué un rôle important dans l’Histoire, mais ce n’est pas encore pris au sérieux. Quand on sollicite les pouvoirs publics, ils ne nous opposent pas un refus catégorique, mais on ne sent pas un grand intérêt.

Comment parler représentativité des femmes dans l’espace public alors que les responsables politiques et les pouvoirs publics sont principalement des hommes ?  

Mais c’est bien ça le problème… Il faut toujours relancer. Dans les universités par exemple, les recherches sur le genre sont encore timides, il n’y a pas de modules pleinement dédiés à cette question, faute de budget et de ressources humaines notamment. Il y a bien des travaux qui ont été réalisés sur le rôle des femmes pour la libération du Maroc par exemple, mais qu’a-t-on fait réellement pour qu’ils soient reconnus et publiés, et que le public puisse se les approprier ? Nous n’avons même pas de laboratoire qui vulgarise et collecte les recherches pour les faire connaître. Cela remet en question la volonté politique de l’Etat.

N’est-ce pas également une manière d’occulter le rôle qu’elles jouent dans la société et l’empreinte qu’elles ont laissée sur l’histoire ?

Ah oui, c’est très important. Les grands noms féminins de l’histoire du Maroc n’ont pas été assimilés par tout le monde ; ça reste l’apanage d’une petite élite. Le problème, c’est que les budgets nécessaires à la mise en place des recommandations qui ont été formulées ne sont pas octroyés, et qu’aucune politique contraignante n’est mise en place. Il n’y a pas non plus de statistiques sur les rues portant des noms féminins et aucune démarche n’a été prise en ce sens à ma connaissance.

Il faut absolument travailler sur tous les pans de la société, principalement les médias, l’éducation, l’enseignement, la famille ; tous les moyens de sociabilisation. Or il y a encore une dichotomie, une domination masculine au niveau des représentations. Le problème qui se pose est toujours le même : l’égalité des droits entre hommes et femmes.

Quand on a un cadre juridique marqué par une suprématie de l’homme, comme c’est le cas encore aujourd’hui, comment voulez-vous que ces problématiques culturelles – car la culture change beaucoup plus lentement que les lois – soient abordées convenablement ? Les lois sont des normes qui infléchissent et orientent les comportements. Il faut que la volonté de mettre fin à la discrimination envers les femmes soit claire pour, à terme, instaurer des politiques multidimensionnelles allant du juridique au culturel, pour changer les stéréotypes et évoluer vers l’égalité. Si ce n’est pas clairement défini, il y aura toujours une ambigüité, que certains aiment appeler «spécificité». Or le machisme et le patriarcat ne sont pas des spécificités culturelles ; ce sont des relations humaines dont on a hérité à travers l’histoire et le pouvoir masculin qui l’a jalonnée.