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Hicham Houdaïfa : «Il faut éduquer les jeunes aux valeurs égalitaires à travers les médias» [Interview]

Chapeautée par les éditeurs d’En Toutes Lettres, l’initiative Open Chabab a reçu le prix Education aux médias et à l’information, dans le cadre des dernières Assises internationales du journalisme de Tours. Avec la journaliste et critique littéraire Kenza Sefrioui, Hicham Houdaïfa a en effet conçu cette formation comme une manière de promouvoir l’éducation aux médias.

Hicham Houdaïfa (d.) aux Assistes internationales Assises internationales du journalisme de Tours / Ph. DR.
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Quels sont les objectifs d’Open Chabab ?

Open Chabab est une formation adressée aux étudiants en journalisme, aux jeunes journalistes et aux acteurs de la société civile, pour les sensibiliser sur les valeurs. Nous en avons choisi quatre : égalité hommes-femmes, sécularisation et lutte contre l’extrémisme religieux, égalité des chances et mixité sociale, libertés individuelles et démocratie participative. Cette formation, qui est pour nous constitutive d’une société moderne et ouverte vers l’autre, est combinée à une autre formation journalistique sur quatre volets : le storytelling, la formation à la data (la donnée, ndlr), le reportage audio et vidéo. Elle est menée par l’intervention d’experts dans chaque domaine.

L’un des buts principaux est de lutter contre un préjugé selon lequel ce serait l’occident qui nous impose ces valeurs égalitaires. C’est pourquoi, la troisième partie de cette formation inclut un travail de terrain, car il est important pour nous de montrer aux bénéficiaires en quoi ces valeurs sont essentielles pour le pays, pour la société dans laquelle nous vivons et pour voir qu’elles sont en total rapport avec notre environnement. Je m’occupe de cette dernière phase qui aboutira à une restitution à travers l’écriture, l’audio, la vidéo et la data.

La formation Open Chabab se fait dans les locaux des éditions En Toutes Lettres (ETL) et concerne dix bénéficiaires pour chaque session de quatre mois. C’est également un site qui sera lancé dans les prochains jours (openchabab.com) et qui contiendra en accès libre tous ces modules, les contenus des formations des experts afin de les rapprocher d’un plus grand nombre de jeunes et en faire bénéficier ceux qui ne l’ont pas suivie. Les travaux de ces restitutions y seront consultables également.

Comment avez-vous développé ce concept ?

Kenza Sefrioui et moi avons conçu Open Chabab dans le cadre d’un appel d’offre de l’Agence française de développement médias (CFI), qui l’a adopté. Nous bénéficions donc d’un financement qui nous permet de l’assurer. Après de longues années dans le journalisme, nous avons en effet réalisé l’importance de la formation sur les valeurs.

Nous pensons aujourd’hui qu’il existe des journalistes et des acteurs associatifs qui font un excellent travail, mais il y en a qui se donnent comme champ d’action ou de spécialisation ces valeurs-là, l’égalité hommes-femmes par exemple, sans pour autant en être convaincus. Ils le font parce que c’est bien d’écrire là-dessus, ou parce qu’il y a un financement pour les associations, mais ils n’ont pas véritablement conscience du bien-fondé de ces valeurs dans le quotidien. Nous avons donc pensé à mette en place une formation éducative, tout en donnant aux acteurs de la société civile la possibilité d’acquérir des outils de restitution.

C’est pour cela que la seconde partie dédiée aux techniques journalistiques est essentielle, car ces acteurs-là sont très engagés sur le terrain mais leur travail n’est pas assez mis en valeur. L’idée est aussi de promouvoir cette combinaison entre des journalistes et des associations dans une même formation, pour inciter ces deux corps à collaborer étroitement. A partir de mon expérience personnelle, un grand nombre de tabous sociétaux ont sauté (pédophilie, tourisme sexuel, migration, etc.) grâce à cette belle collaboration.

Que représente pour vous le prix Education aux médias et à l’information ?

Ce prix est un encouragement nous disant que nous nous rendons utiles pour notre société. Il vient de la communauté des journalistes, donc cette distinction par les pairs nous fait encore plus plaisir. C’est également une incitation pour nous à aller plus loin avec ce projet pour le garder en vie après la fin du financement du CFI. Nous essayons donc de le rendre durable dans le temps.

Dans ce cadre, envisagez-vous à terme des partenariats avec le ministère de l’Education puisque le projet est porté là-dessus ?

Ce sera le but ultime que de pouvoir accompagner les milliers d’écoliers, de collégiens et de lycéens du pays. Il faut rappeler que dans les établissements relevant du système français, des intervenants externes travaillent à sensibiliser sur les réseaux sociaux, l’accès à l’information via Twitter, Facebook et autres.

Beaucoup de jeunes prennent des intox pour des faits réels, d’autant plus qu’ils consultent principalement ces plateformes-là plus que les sites d’actualités vérifiées. Notre ambition est donc de promouvoir l’éducation des médias en allant vers les jeunes, tout en les sensibilisant sur les valeurs, notre vocation première. Nous serons plus qu’heureux de le faire dans les établissements publics.

Vous axez votre travail sur l’éducation aux médias. Cette question est-elle assez abordée au Maroc ?

Je ne le pense pas. Dans le système éducatif national, je ne connais pas de véritable stratégie d’éducation aux médias et surtout d’éducation à l’accès à l’information, car ce dernier ne se limite plus au cadre des médias aujourd’hui, qui recoupent les faits et répondent à des questions précises (les cinq W). Je ne pense pas que nous ayons au Maroc une stratégie à la hauteur de ce qui passe de nos jours en termes de démocratisation et de tri de l’information. Je pense qu’il est important de se pencher rapidement dessus.

Quels sont vos projets futurs dans le cadre d’Open Chabab ?

Nous sommes actuellement au deuxième cycle de formation, dédié à la sécularisation et à la lutte contre l’extrémisme. Quatre intervenants ont participé, Abdellah Zaâzaâ, Abdelwahhab Rafiki, Mohamed Samouni et Mohamed Misbah. Nous continuerons avec les autres modules et les valeurs précédemment citées, mais nous ambitionnons aussi de travailler avec d’autres publics et sur d’autres valeurs.

Nous n’avons pas encore de visibilité en termes de financement de ces projets-là, mais nous pensons qu’il sera possible de les réaliser, nous œuvrerons à les proposer à d’autres acteurs et pourquoi pas avec le ministère de l’Education si les portes sont ouvertes.

C’est faire preuve de citoyenneté que de donner la possibilité à nos enfants, collégiens et lycéens d’être en accord avec des valeurs universelles et de les éduquer à accéder à des informations fiables, à les initier à l’écriture journalistique, aux notions du journalisme, et de l’importance de faire attention aux intox et aux théories de complot qui inondent les réseaux sociaux.

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