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Celle qui était une louve qui était une femme
8 décembre 2023 16:10


On l’a retrouvée au bord de la rivière, juste après le pont à l’orée du bois. Elle gisait là, inerte, sur un lit de feuilles pourpres. ils l'ont crue morte au vu de l’étendue de ses blessures. Ils disaient qu’elle avait été attaquée par une bête sauvage. Elle était nue, son corps entaillé de profondes griffures, sa gorge mutilée de larges morsures. Pourtant, elle semblait avoir été soigneusement posée là, sur le lit de feuilles pourpres, au bord de la rivière. L’automne touchait à sa fin. Son teint d’opal, presque transparent, contrastait dans une étrange luminosité avec le rouge écarlate qui s’écoulait de ses plaies.
Personne ne savait qui elle était. Elle n’était pas d’ici, disaient-ils, on ne l’avait jamais vue, pas même aperçue. Moi, je me souvenais d’une histoire que me racontait autrefois mon arrière-grand-mère. C’était l’histoire d’une femme qui était une louve, qui était une femme. Alors, je me suis approché d’elle. Sa peau était livide et froide comme la mort. Elle respirait à peine, les battements de son cœur étaient un souffle lointain, mais elle était en vie… plus pour longtemps, pensais-je. Alors, je l'ai prise entre mes bras. Elle ne pesait pas bien lourd. Je l’ai transportée jusqu’à ma petite chaumière, juste là, de l’autre côté du pont, un peu à l’écart du village. Les autres me regardaient en silence. Ils n’en pensaient sans doute pas moins, mais cela m’importait peu.
Je l’ai déposée délicatement sur le lit et j'ai nettoyé ses blessures. A maints endroits, j’ai dû recoudre les plaies tant elles étaient profondes. Cela laissera des cicatrices me disais-je, alors même que j’ignorais si elle survivrait. Ses chances étaient si minces. Pourtant, il fallait que j’essaie. Les jours qui suivirent, je la fis boire, goutte à goutte, autant que possible. Peu à peu, elle semblait reprendre des couleurs, sa respiration devenait perceptible, son cœur battait plus fort. Quelques fois, elle ouvrait les yeux, elle me fixait de son regard inquiet, hagard, pour les refermer aussitôt, comme si la vue lui était trop douloureuse. Je parvins néanmoins à la faire passer de l’eau au bouillon.
Souvent, elle était prise de violents cauchemars. Elle se débattait, criait, griffait et cognait dans les draps, puis elle se réveillait, secouée de sanglots. Je la serrais alors contre moi jusqu’à ce qu’elle se calme et se rendorme. Les cauchemars finirent par s'espacer, pour laisser place à de fortes fièvres. Au-dehors, la neige commençait à recouvrir les toits, les rues, la forêt. J’entretenais le feu dans la cheminée, sans cesse je lui passais des serviettes humides sur le visage et sur tout le corps. Il lui arrivait d’être secouée de spasmes, de délirer aussi, dans une langue que je ne connaissais pas. Quelquefois elle couinait comme un animal blessé.
La fièvre dura bien une quinzaine de jours. Je craignais qu’elle ne l’emporte. J’en tremblais moi-même. Toutes ces heures passées à son chevet avaient tissé dans mon cœur un lien si fort avec elle. Je continuais les soins sans relâche. La fièvre se calma peu à peu et elle retrouva un sommeil paisible et réparateur.
Un matin, alors qu’un lourd manteau blanc avait recouvert toute la vallée, elle se réveilla enfin. Sa longue chevelure de feu avait repris vigueur, ses blessures étaient cicatrisées. Ses yeux étaient d’un vert lumineux et profond, son regard sûr et sauvage. Elle resta encore alitée quelques jours. Elle ne dit pas un mot mais chacun de ses gestes, de ses regards, exprimaient la gratitude. Puis, lorsque le temps fut venu, elle se leva, ôta la chemise de nuit que je lui avait passée, et sorti, nue, dans la neige. Je la regardait s’éloigner lorsqu’elle tourna vers moi son visage, avant de se transformer une magnifique louve qui s’enfuit tout droit vers la forêt.
Je ne la revit jamais, mais à chaque pleine lune, une louve blanche à la crinière de feu vient hurler au bord de la rivière, là, de l’autre côté du pont, presque sous mes fenêtres.





Modifié 1 fois. Dernière modification le 08/12/23 16:40 par Bigoudi*.
8 décembre 2023 16:31
Justement

Où es

Une louve (La Loba)

Smehli j’ai pas lu ton texte (trop long)
Toute âme goûtera à la mort
8 décembre 2023 16:35
Dans la forêt peut-être Heu
Citation
قلب* a écrit:
Justement

Où es

Une louve (La Loba)

Smehli j’ai pas lu ton texte (trop long)
y
8 décembre 2023 17:53
Très beau texte..

Bravo !


Je m'attendais à une intrigue policière..
Finalement, c'est une belle nouvelle sans suite..
8 décembre 2023 17:55
Merci ?
Citation
yassy37 a écrit:
Très beau texte..

Bravo !


Je m'attendais à une intrigue policière..
Finalement, c'est une belle nouvelle sans suite..
R
5 février 2024 20:29
magnifique 🥹
Citation
Louve* a écrit:


On l’a retrouvée au bord de la rivière, juste après le pont à l’orée du bois. Elle gisait là, inerte, sur un lit de feuilles pourpres. ils l'ont crue morte au vu de l’étendue de ses blessures. Ils disaient qu’elle avait été attaquée par une bête sauvage. Elle était nue, son corps entaillé de profondes griffures, sa gorge mutilée de larges morsures. Pourtant, elle semblait avoir été soigneusement posée là, sur le lit de feuilles pourpres, au bord de la rivière. L’automne touchait à sa fin. Son teint d’opal, presque transparent, contrastait dans une étrange luminosité avec le rouge écarlate qui s’écoulait de ses plaies.
Personne ne savait qui elle était. Elle n’était pas d’ici, disaient-ils, on ne l’avait jamais vue, pas même aperçue. Moi, je me souvenais d’une histoire que me racontait autrefois mon arrière-grand-mère. C’était l’histoire d’une femme qui était une louve, qui était une femme. Alors, je me suis approché d’elle. Sa peau était livide et froide comme la mort. Elle respirait à peine, les battements de son cœur étaient un souffle lointain, mais elle était en vie… plus pour longtemps, pensais-je. Alors, je l'ai prise entre mes bras. Elle ne pesait pas bien lourd. Je l’ai transportée jusqu’à ma petite chaumière, juste là, de l’autre côté du pont, un peu à l’écart du village. Les autres me regardaient en silence. Ils n’en pensaient sans doute pas moins, mais cela m’importait peu.
Je l’ai déposée délicatement sur le lit et j'ai nettoyé ses blessures. A maints endroits, j’ai dû recoudre les plaies tant elles étaient profondes. Cela laissera des cicatrices me disais-je, alors même que j’ignorais si elle survivrait. Ses chances étaient si minces. Pourtant, il fallait que j’essaie. Les jours qui suivirent, je la fis boire, goutte à goutte, autant que possible. Peu à peu, elle semblait reprendre des couleurs, sa respiration devenait perceptible, son cœur battait plus fort. Quelques fois, elle ouvrait les yeux, elle me fixait de son regard inquiet, hagard, pour les refermer aussitôt, comme si la vue lui était trop douloureuse. Je parvins néanmoins à la faire passer de l’eau au bouillon.
Souvent, elle était prise de violents cauchemars. Elle se débattait, criait, griffait et cognait dans les draps, puis elle se réveillait, secouée de sanglots. Je la serrais alors contre moi jusqu’à ce qu’elle se calme et se rendorme. Les cauchemars finirent par s'espacer, pour laisser place à de fortes fièvres. Au-dehors, la neige commençait à recouvrir les toits, les rues, la forêt. J’entretenais le feu dans la cheminée, sans cesse je lui passais des serviettes humides sur le visage et sur tout le corps. Il lui arrivait d’être secouée de spasmes, de délirer aussi, dans une langue que je ne connaissais pas. Quelquefois elle couinait comme un animal blessé.
La fièvre dura bien une quinzaine de jours. Je craignais qu’elle ne l’emporte. J’en tremblais moi-même. Toutes ces heures passées à son chevet avaient tissé dans mon cœur un lien si fort avec elle. Je continuais les soins sans relâche. La fièvre se calma peu à peu et elle retrouva un sommeil paisible et réparateur.
Un matin, alors qu’un lourd manteau blanc avait recouvert toute la vallée, elle se réveilla enfin. Sa longue chevelure de feu avait repris vigueur, ses blessures étaient cicatrisées. Ses yeux étaient d’un vert lumineux et profond, son regard sûr et sauvage. Elle resta encore alitée quelques jours. Elle ne dit pas un mot mais chacun de ses gestes, de ses regards, exprimaient la gratitude. Puis, lorsque le temps fut venu, elle se leva, ôta la chemise de nuit que je lui avait passée, et sorti, nue, dans la neige. Je la regardait s’éloigner lorsqu’elle tourna vers moi son visage, avant de se transformer une magnifique louve qui s’enfuit tout droit vers la forêt.
Je ne la revit jamais, mais à chaque pleine lune, une louve blanche à la crinière de feu vient hurler au bord de la rivière, là, de l’autre côté du pont, presque sous mes fenêtres.

 
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