Je suis triste ; le sort est dur ; tout meurt, tout passe ; Les êtres innocents marchent dans de la nuit ; Tu n'en sais rien ; tu ris d'écouter dans l'espace Ce qui chante et de voir ce qui s'épanouit ;
Toi, tu ne connais pas le destin ; tu chuchotes On ne sait quoi devant l'Ignoré ; tu souris Devant l'effarement des sombres don Quichottes Et devant la sueur des pâles Jésus-Christs.
Tu ne sais pas pourquoi je songe, pourquoi tombe Kesler à Guernesey, Ribeyrolle au Brésil ; Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que la tombe, Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que l'exil.
Certes, si je pensais que j'assombris ton âme, Je ne te dirais point toutes ces choses-là ; Mais, vois-tu, bien qu'avril dore à sa pure flamme Ton front, que Dieu pour moi tout exprès étoila,
Quoique le ciel ait l'aube et mon coeur ton sourire, Jeanne, la vie est morne, et l'on gémit parfois ; Puisque tu n'as qu'un an, je puis bien tout te dire, Tu comprends seulement la douceur de ma voix.
Oh ! Paris est la cité mère ! Paris est le lieu solennel Où le tourbillon éphémère Tourne sur un centre éternel ! Paris ! feu sombre ou pure étoile ! Morne Isis couverte d'un voile ! Araignée à l'immense toile Où se prennent les nations ! Fontaine d'urnes obsédée ! Mamelle sans cesse inondée Où pour se nourrir de l'idée Viennent les générations !
Quand Paris se met à l'ouvrage Dans sa forge aux mille clameurs, A tout peuple, heureux, brave ou sage, Il prend ses lois, ses dieux, ses moeurs. Dans sa fournaise, pêle-mêle, Il fond, transforme et renouvelle Cette science universelle Qu'il emprunte à tous les humains ; Puis il rejette aux peuples blêmes Leurs sceptres et leurs diadèmes, Leurs préjugés et leurs systèmes, Tout tordus par ses fortes mains !
Paris, qui garde, sans y croire, Les faisceaux et les encensoirs, Tous les matins dresse une gloire, Eteint un soleil tous les soirs ; Avec l'idée, avec le glaive, Avec la chose, avec le rêve, Il refait, recloue et relève L'échelle de la terre aux cieux ; Frère des Memphis et des Romes, Il bâtit au siècle où nous sommes Une Babel pour tous les hommes, Un Panthéon pour tous les dieux !
Ville qu'un orage enveloppe ! C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour, Réveille le géant Europe Avec sa cloche et son tambour ! Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme, Il entend la cité difforme Bourdonner sur sa tête énorme Comme un essaim dans la forêt. Toujours Paris s'écrie et gronde. Nul ne sait, question profonde ! Ce que perdrait le bruit du monde Le jour où Paris se tairait !
A l'enfant malade pendant le siège Si vous continuez d'être ainsi toute pâle Dans notre air étouffant, Si je vous vois entrer dans mon ombre fatale, Moi vieillard, vous enfant ;
Si je vois de nos jours se confondre la chaîne, Moi qui sur mes genoux Vous contemple, et qui veux la mort pour moi prochaine, Et lointaine pour vous ;
Si vos mains sont toujours diaphanes et frêles, Si, dans vôtre berceau, Tremblante, vous avez l'air d'attendre des ailes Comme un petit oiseau ;
Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre Racine pour longtemps, Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystère Vos doux yeux mécontents ;
Si je ne vous vois pas gaie et rose et très forte, Si, triste, vous rêvez, Si vous ne fermez pas derrière vous la porte Par où vous arrivez ;
Si je ne vous vois pas comme une belle femme Marcher, vous bien porter, Rire, et si vous semblez être une petite âme Qui ne veut pas rester,
Je croirai qu'en ce monde où le suaire au lange Parfois peut confiner, Vous venez pour partir, et que vous êtes l'ange Chargé de m'emmener.
Les étoiles, points d'or, percent les branches noires ; Le flot huileux et lourd décompose ses moires Sur l'océan blêmi ; Les nuages ont l'air d'oiseaux prenant la fuite ; Par moments le vent parle, et dit des mots sans suite, Comme un homme endormi.
Tout s'en va. La nature est l'urne mal fermée. La tempête est écume et la flamme est fumée. Rien n'est, hors du moment, L'homme n'a rien qu'il prenne, et qu'il tienne, et qu'il garde. Il tombe heure par heure, et, ruine, il regarde Le monde, écroulement.
L'astre est-il le point fixe en ce mouvant problème ? Ce ciel que nous voyons fut-il toujours le même ? Le sera-t-il toujours? L'homme a-t-il sur son front des clartés éternelles ? Et verra-t-il toujours les mêmes sentinelles Monter aux mêmes tours ? [...]
Personne pour toi. Tous sont d'accord. Celui-ci, Nommé Gladstone, dit à tes bourreaux : merci ! Cet autre, nommé Grant, te conspue, et cet autre, Nommé Bancroft, t'outrage ; ici c'est un apôtre, Là c'est un soldat, là c'est un juge, un tribun, Un prêtre, l'un du Nord, l'autre du Sud ; pas un Que ton sang, à grands flots versé, ne satisfasse ; Pas un qui sur ta croix ne te crache à la face. Hélas ! qu'as-tu donc fait aux nations ? Tu vins Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins : Joie et Paix ! - Tu criais : - Espérance ! Allégresse ! Sois puissante, Amérique, et toi sois libre, ô Grèce ! L'Italie était grande ; elle doit l'être encor. Je le veux ! - Tu donnas à celle-ci ton or ; A celle-là ton sang, à toutes la lumière. Tu défendis le droit des hommes, coutumière De tous les dévoûments et de tous les devoirs. Comme le boeuf revient repu des abreuvoirs, Les hommes sont rentrés pas à pas à l'étable, Rassasiés de toi, grande soeur redoutable, De toi qui protégeas, de toi qui combattis. Ah ! se montrer ingrats, c'est se prouver petits. N'importe ! pas un d'eux ne te connaît. Leur foule T'a huée, à cette heure où ta grandeur s'écroule, Riant de chaque coup de marteau qui tombait Sur toi, nue et sanglante et clouée au gibet. Leur pitié plaint tes fils que la fortune amère Condamne à la rougeur de t'avouer pour mère. Tu ne peux pas mourir, c'est le regret qu'on a. Tu penches dans la nuit ton front qui rayonna ; L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie ; C'est à qui reniera la vaincue ; et la joie Des rois pillards, pareils aux bandits des Adrets, Charme l'Europe et plaît au monde... - Ah ! je voudrais, Je voudrais n'être pas Français pour pouvoir dire Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre, Je te proclame, toi que ronge le vautour, Ma patrie et ma gloire et mon unique amour !
Oh! vous aurez trop dit au pauvre petit ange Qu'il est d'autres anges là-haut, Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n'y change, Qu'il est doux d'y rentrer bientôt;
Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres, Une tente aux riches couleurs, Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres, Et d'étoiles qui sont des fleurs;
Que c'est un lieu joyeux plus qu'on ne saurait dire, Où toujours, se laissant charmer, On a les chérubins pour jouer et pour rire, Et le bon Dieu pour nous aimer;
Qu'il est doux d'être un coeur qui brûle comme un cierge, Et de vivre, en toute saison, Près de l'enfant Jésus et de la sainte Vierge Dans une si belle maison!
Et puis vous n'aurez pas assez dit, pauvre mère, A ce fils si frêle et si doux, Que vous étiez à lui dans cette vie amère, Mais aussi qu'il était à vous;
Que, tant qu'on est petit, la mère sur nous veille, Mais que plus tard on la défend; Et qu'elle aura besoin, quand elle sera vieille, D'un homme qui soit son enfant;
Vous n'aurez point assez dit à cette jeune âme Que Dieu veut qu'on reste ici-bas, La femme guidant l'homme et l'homme aidant la femme, Pour les douleurs et les combats ;
Si bien qu'un jour, ô deuil ! irréparable perte ! Le doux être s'en est allé !... - Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte, Que votre oiseau s'est envolé !