Khalil Djibran, Mohamed Iqbal et Bennabi ont emprunté à Nietzsche ses saisies fulgurantes, ses impulsions et ses raccourcis. Tous trois ont été marqués dans l’étape de leur éveil intellectuel par le courant vitaliste de la pensée allemande en général et la philosophie et le style de Nietzsche en particulier. Ils doivent à ce dernier leur ouverture à la conscience tragique et leur découverte de la psychologie faustienne. Le problème par lequel tous trois étaient habités, celui de l’arriération sociale du monde arabo-musulman et du despotisme qu’exerçait l’école traditionnelle sur la pensée, ils l’ont trouvé posé presque dans les mêmes termes dans les œuvres et l’état d’esprit de Fichte, Goethe et Nietzsche.
Aussi partiront-ils tous trois en guerre contre l’abdication intellectuelle, transposant dans la pensée arabo-musulmane moderne le souffle, les images et les concepts de la philosophie allemande. Courageux, Iqbal écrit : « Il n’y a rien d’étonnant à ce que la jeune génération musulmane d’Asie et d’Afrique réclame une orientation nouvelle de sa foi. Avec la renaissance de l’islam, il est nécessaire d’examiner dans un esprit indépendant ce que l’Europe a pensé, et la mesure dans laquelle les conclusions qu’elle a atteintes peuvent nous aider à revoir et, si nécessaire, reconstruire la pensée théologique de l’islam »[10]. Khalil Djibran qui croyait en une religion universelle estime pour sa part que « Dieu a donné plusieurs portes à la vérité de manière à pouvoir accueillir chaque croyant qui y frappe. »