Quand sauras-tu Mon cher monsieur Que je ne serai pas -Comme d'autres- Une de tes petites amies, Une conquête féminine Ajoutée au nombre de tes conquêtes, Un chiffre inscrit Sur les registres de tes comptes ? Quand le sauras-tu ?
II
Quand sauras-tu -Chameau en errance du désert, Toi dont la variole a rongé Le visage et le poignet- Que je ne serai point Une cendre dans ta cigarette ? Ni énième tête entre mille têtes Sur ton oreiller, Non plus une statuette Dont tu auras augmenté le prix Dans la folie de tes enchères, Ou un sein sur le poli duquel Tu auras imprimé le moule de tes empreintes ? Quand le sauras-tu ?
III
Quand sauras-tu Que tu ne me drogueras pas Par ton pouvoir, ni ton renom, Et que tu ne posséderas pas le monde Avec ton naphte, tes royalties, Avec ton pétrole Dont les relents s'exhalent de tes nippes, Et avec les voitures que tu déposes Aux pieds de tes nombreuses maîtresses ? Où sont donc passées De tes chamelles les bosses ? Où a donc disparu De tes mains le tatouage ? Que sont devenues De tes tentes les béances ? Toi, aux talons gercés, Toi l'esclave de tes passions, Toi dont les épouses font partie De tes hobbies, Femmes que tu alignes par dizaines Sur le lit de tes jouissances, Insectes que tu momifies Sur les murs de tes salons ? Quand le sauras-tu ?
IV
Toi, frappé d'indigestion, Quand sauras-tu Que je ne suis pas de celles Qu'impressionne ton paradis Ou qu'effraie ton enfer ? Quand sauras-tu Que ma dignité est plus précieuse Que l'or entassé dans tes proches, Et que le climat où mes pensées baignent Est bien loin de tes climats, Toi où a couvé le féodal Dans la vermine de tes helminthes, Toi dont le désert rougit de honte Lorsqu'il entend ton appel ? Quand le sauras-tu ?
V
Patauge donc Prince de Bitume Tel une éponge Dans la fange de tes plaisirs Et dans tes errements, Ton pétrole ? Tu peux le déverser Aux pieds de tes maîtresses ! Les boîtes de nuit de Paris Ont tué en toi toute fierté, Là-bas, aux pieds d'une prostituée Tu as enterré ton amour propre, Alors, tu as bradé al Qods, Tu as bradé Dieu, Tu as bradé de tes morts les cendres, Comme si les lances d'Israël N'ont jamais tué tes sœurs, N'ont jamais détruit nos demeures, Et n'ont jamais brûlé, Nos Saintes Ecritures, Comme si les bannières d'Israël Ne se sont jamais plantées Sur les lambeaux De tes drapeaux, Comme si tous ceux Qui furent crucifiés Aux arbres de Jaffa Aux arbres de Jéricho Et de Bir Sbaa N'étaient pas de ta race. Al Qods baigne dans son sang Pendant que te dévorent Tes propres passions Comme si le drame Ne te concernait point ! Quand donc l'Etre Humain Se réveillera-t-il dans ta carcasse ?
De terrorisme on nous accuse Si nous osons prendre défense De notre femme et de la rose Et de l'azur et du poème Si nous osons prendre défense D'une patrie sans eau sans air D'une patrie qui a perdu Sa tente et sa chamelle Et même son café noir. De terrorisme on nous accuse Si nous osons prendre défense De la crinière De la reine de Saba Des lèvres de Maysoun Des noms de nos plus belles filles, Du khol qui de leurs cils En pluie retombe Comme une chose révélée. Certes vous ne trouverez pas En ma possession De poésie secrète Ni de parler énigmatique Ou des ouvrages clandestins, Et par devers moi je ne garde Aucun poème traversant La rue, caché derrière son voile. De terrorisme on nous accuse Quand nous décrivons les dépouilles D'une patrie Décomposée et dénudée Et dont les restes en lambeaux Sont dispersés aux quatre vents…, D'une patrie Cherchant son adresse et son nom… D'une patrie ne conservant De ses antiques épopées Que les élégies de Khansa…, D'une patrie Où ni le rouge, ni le jaune, ni le vert Ne teignent plus les horizons…, D'une patrie qui nous défend D'écouter les informations Ou d'acheter quelque journal…, D'une patrie où les oiseaux Sont censurés dans leurs chansons, D'une patrie où, terrifiés, Les écrivains ont pris le pli D'écrire la page du néant…, D'une patrie Qui ressemblerait dans sa forme A la poésie Dans notre pays Sorte de langage égaré Improvisé Sans aucun lien avec les êtres Sans aucun lien avec leur terre Ni avec les problèmes Dans lesquels ils se débattent vainement, D'une patrie allant pieds nus Et sans aucune dignité Vers la paix négociée… D'une patrie Où les hommes pris de panique Ont fait pipi dans leurs culottes Et où ne restent que les femmes. Le sel amer est dans nos yeux Et sur nos lèvres, Il est dans nos propres propos. Notre âme a-t-elle été touchée De stérilité héritée Léguée par la tribu Kahtane. Dans notre nation, Il n'y a plus de Mu'awya Plus de Abu Sufiane Plus personne pour crier "Gare" ! A la face de ceux qui ont abandonné A autrui notre foyer Et notre huile et notre pain Transformant notre maison Si heureuse en capharnaum. Il ne reste plus rien de notre poésie Qui n'ait sur le lit sur tyran Perdu sa virginité. Du mépris nous avons pris Le pli de l'habitude. Que reste-t-il donc de l'homme Lorsqu'il s'habitue au mépris ? Je recherche dans les feuilles de l'Histoire Usaman Ibn Munkid Okba Ibn Nafi', Je recherche Omar, Je recherche Hamza, Et Khalid chevauchant Vers la Grande Syrie, Je recherche al Mu'tacim Sauvant les femmes De la barbarie des envahisseurs Et des furies des flammes, Je recherche dans ce siècle attardé Et ne trouve dans la nuit Que des chats apeurés Craignant pour leur personne Le pouvoir des souris. Avons-nous été atteints De nationale cécité ? Ou bien tout simplement Souffrons-nous de daltonisme ? De terrorisme on nous accuse Quand nous refusons notre mort Sous les râteaux israéliens Qui ratissent notre terre Qui ratissent notre Histoire Qui ratissent notre Evangile Qui ratissent notre Coran Et le sol de nos prophètes. Si c'est là notre crime Que vive le terrorisme ! De terrorisme on nous accuse Si nous refusons que les Juifs Que les Mongols et les Barbares Nous effacent de leur main. Oui, nous lançons des pierres Sur la maison de verre Du Conseil de Sécurité Soumis à l'empereur suprême. De terrorisme on nous accuse Lorsque nous refusons De négocier avec les loups Et de tendre nos deux bras A la prostitution. L'Amérique Ennemie de la culture humaine Elle-même sans culture, Ennemie de l'urbaine civilisation Dont elle-même est dépourvue, L'Amérique Bâtisse géante Mais sans murs. De terrorisme on nous accuse Si nous refusons un siècle Où ce pays de lui-même satisfait S'est érigé En traducteur assermenté De la langue des Hébreux.
voici l'intégralité du poème de nizar kabbani sur belkis
Merci à vous, Merci à vous, Assassinée, ma bien aimée ! Vous pourrez dès lors Sur la tombe de la martyre Porter votre funèbre toast. Assassinée ma poésie ! Est-il un peuple au monde, -Excepté nous- Qui assassine le poème ? O ma verdoyante Ninive ! O ma blonde bohémienne ! O vagues du Tigre printanier ! O toi qui portes aux chevilles Les plus beaux des anneaux !
Ils t'ont tuée, Balkis ! Quel peuple arabe Celui-là qui assassine Le chant des rossignols !
Balkis, la plus belle des reines Dans l'histoire de Babel ! Balkis, le plus haut des palmiers Sur le sol d'Irak !
Quand elle marchait Elle était entourée de paons, Suivie de faons.
Balkis, ô ma douleur ! O douleur du poème à peine frôlé du doigt ! Est-il possible qu'après ta chevelure Les épis s'élèveront encore vers le ciel ?
Où est donc passé Al Samaw'al ? Où est donc parti Al Muhalhil ? Les anciens preux, où sont-ils ?
Il n'y a plus que des tribus tuant des tribus, Des renards tuant des renards, Et des araignées tuant d'autres araignées. Je te jure par tes yeux Où viennent se réfugier des millions d'étoiles Que, sur les Arabes, ma lune, Je raconterai d'incroyables choses L'héroïsme n'est-il qu'un leurre arabe ? Ou bien, comme nous, l'Histoire est-elle mensongère ? Balkis, ne t'éloigne pas de moi Car, après toi, le soleil Ne brille plus sur les rivages.
Au cours de l'instruction je dirai : Le voleur s'est déguisé en combattant, Au cours de l'instruction je dirai : Le guide bien doué n'est qu'un vilain courtier.
Je dirai que cette histoire de rayonnement (arabe) N'est une plaisanterie, la plus mesquine, Voilà donc toute l'Histoire, ô Balkis !
Comment saura-t-on distinguer Entre les parterres fleuris Et les monceaux d'immondices ?
Blakis, toi la martyre, toi le poème, Toi la toute-pure, toit la toute-sainte. Le peuple de Saba, Balkis, cherche sa reine des yeux, Rends donc au peuple son salut !
Toi la plus noble des reines, Femme qui symbolise toutes les gloires des époques sumériennes ! Balkis, toi mon oiseau le plus doux, Toi mon icône la plus précieuse, Toi larme répandue sur la joue de la Madeleine !
Ai-je été injuste à ton égard En t'éloignant des rives d'Al A'damya ? Beyrouth tue chaque jour l'un de nous, Beyrouth chaque jour court après sa victime.
La mort rôde autour de la tasse de notre café, La mort rôde dans la clé de notre appartement, Elle rôde autour des fleurs de notre balcon, Sur le papier de notre journal, Et sur les lettres de l'alphabet.
Balkis ! sommes-nous une fois encore Retournés à l'époque de la jahilia ? Voilà que nous entrons dans l'ère de la sauvagerie, De la décadence, de la laideur, Voilà que nous entrons une nouvelle fois Dans l'ère de la barbarie, Ere où l'écriture est un passage Entre deux éclats d'obus, Ere où l'assassinat d'un frelon dans un champ Est devenu la grande affaire.
Connaissez-vous ma bien aimée Balkis ? Elle est le plus beau texte des œuvres de l'Amour, Elle fut un doux mélange De velours et de beau marbre.
Dans ses yeux on voyait la violette S'assoupir sans dormir. Balkis, parfum dans mon souvenir ! O tombe voyageant dans les nues !
Ils t'ont tuée à Beyrouth Comme n'importe quelle autre biche, Après avoir tué le verbe.
Balkis, ce n'est pas une élégie que je compose, Mais je fais mes adieux aux Arabes,
Balkis, tu nous manques… tu nous manques… Tu nous manques…
La maisonnée recherche sa princesse Au doux parfum qu'elle traîne derrière elle. Nous écoutons les nouvelles, Nouvelles vagues, sans commentaires.
Balkis, nous sommes écorchés jusqu'à l'os. Les enfants ne savent pas ce qui se passe, Et moi, je ne sais pas quoi dire…
Frapperas-tu à la porte dans un instant ? Te libéreras-tu de ton manteau d'hiver ? Viendras-tu si souriante et si fraîche Et aussi étincelante Que les fleurs des champs ?
Balkis, tes épis verts Continuent à pleurer sur les murs, Et ton visage continue à se promener Entre les miroirs et les tentures.
Même la cigarette que tu viens d'allumer Ne fut pas éteinte, Et sa fumée persistante continue à refuser De s'en aller. Balkis, nous sommes poignardés Poignardés jusqu'à los Et nos yeux sont hantés par l'épouvante.
Balkis, comment vas-tu pu prendre mes jours et mes rêves ? Et as-tu supprimé les saisons et les jardins ?
Mon épouse, ma bien aimée, Mon poème et la lumière de mes yeux, Tu étais mon bel oiseau, Comment donc as-tu pu t'enfuir ? Balkis, c'est l'heure du thé irakien parfumé Comme un bon vieux vin, Qui donc distribuera les tasses, ô girafe ? Qui a transporté à notre maison L'Euphrate, les roses du Tigre et de Ruçafa ?
Balkis, la tristesse me transperce. Beyrouth qui t'a tuée ignore son forfait, Beyrouth qui t'a aimée Ignore qu'elle a tué sa bien aimée Et qu'elle a éteint la lune. Balkis ! Balkis ! Balkis ! Tous les nuages te pleurent, Quidonc pleurera sur moi ?
Balkis, comment vas-tu pu disparaître en silence Sans avoir posé tes mains sur mes mains ?
Balkis, comment as-tu pu nous abandonner Ballottés comme feuilles mortes par le vent ballottées, Comment nous as-tu abandonnés nous trois Perdus comme une plume dans la pluie ?
As-tu pensé à moi Moi qui ai tant besoin de ton amour, Comme Zeinab, comme Omar ? Balkis, ô trésor de légende ! O lance irakienne ! O forêt de bambous ! Toi dont la taille a défié les étoiles, D'où as-tu apporté toute cette fraîcheur juvénile ?
Balkis, toi l'amie, toi la compagne, Toi la délicate comme une fleur de camomille.
Beyrouth nous étouffe, la mer nous étouffe, Le lieu nous étouffe. Balkis, ce n'est pas toi qu'on fait deux fois, Il n'y aura pas de deuxième Balkis. Balkis ! les détails de nos liens m'écorchent vif, Les minutes et les secondes me flagellent de leurs coups, Chaque petite épingle a son histoire, Chacun de tes colliers en a plus d'une, Même tes accroche-cœur d'or Comme à l'accoutumée m'envahissent de tendresse.
La belle voix irakienne s'installe sur les tentures, Sur les fauteuils et les riches vaisselles. Tu jaillis des miroirs Tu jaillis de tes bagues, Tu jallis du poème, Des cierges, des tasses Et du vin de rubis.
Balkis, si tu pouvais seulement Imaginer la douleur de nos lieux ! A chaque coin, tu volettes comme un oiseau, Et parfumes le lieu comme une forêt de sureau.
Là, tu fumais ta cigarette, Ici, tu lisais, Là-bas tu te peignais telle un palmier, Et, comme une épée yéménite effilée, A tes hôtes tu apparaissais.
Balkis, où est donc le flacon de Guerlain ? Où est le briquet bleu ? Où est la cigarette Kent ? Qui ne quittait pas tes lèvres ? Où est le hachémite chantant Son nostalgique chant ?
Les peignes se souviennent de leur passé Et leurs larmes se figent ; Les peignes souffrent-ils aussi de leur chagrin d'amour ?
Balkis, il m'est dur d'émigrer de mon sang Alors que je suis assiégé entre les flammes du feu Et les flammes des cendres.
Balkis, princesse ! Voilà que tu brûles dans la guerre des tribus. Qu'écrirais-je sur le voyage de ma reine, Car le verbe est devenu mon vrai drame ? Voilà que nous recherchons dans les entassements des victimes Une étoile tombée du ciel, Un corps brisé en morceaux comme un miroir brisé. Nous voilà nous demander, ô ma bien aiméme, Si cette tombe est la tienne Ou bien celle en vérité de l'arabisme ?
Balkis, ô sainte qui as étendu tes tresses sur moi ! O girafe de fière allure !
Balkis, notre justice arabe Veut que nos propres assassins Soient des Arabes, Que notre chair soit mangée par des Arabes, Que notre ventre soit éventré par des Arabes, Comment donc échapper à ce destin ? Le poignard arabe ne fait pas de différence Entre les gorges des hommes Et les gorges des femmes.
Balkis, s'ils t'ont fait sauter en éclats, Sache que chez nous Toutes les funérailles commencent à Karbala Et finissent à Karbala Je ne lirai plus l'Histoire dorénavant, Mes doigts sont brûlés Et mes habits sont entachés de sang.
Voilà que nous abordons notre âge de pierre, Chaque jour, nous reculons mille ans en arrière ! A Beyrouth la mer A démissionné Après le départ de tes yeux, La poésie s'interroge sur son poème Dont les mots ne s'agencent plus, Et personne ne répond plus à la question, Le chagrin, Balkis, presse mes yeux comme une orange. Las ! je sais maintenant que les mots n'ont pas d'issue, Et je connais le gouffre de la langue impossible ; Moi qui ai inventé le style épistolaire Je ne sais par quoi commencer une lettre, Le poignard pénètre mon flanc Et le flanc du verbe.
Balkis, tu résumes toute civilisation, La femme n'est-elle pas civilisation ?
Balkis, tu es ma bonne grande nouvelle. Qui donc m'en a dépouillé ? Tu es l'écriture avant toute écriture, Tu es l'île et le sémaphore,
Balkis, ô lune qu'ils ont enfouie Parmi les pierres ! Maintenant le rideau se lève, Le rideau se lève.
Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les noms, les choses, les prisonniers, Les martyrs, les pauvres, les démunis.
Je dirai que je connais le bourreau qui a tué ma femme Je reconnais les figures de tous les traîtres.
Je dirai que votre vertu n'est que prostitution Que votre piété n'est que souillure, Je dirai que notre combat est pur mensonge Et que n'existe aucune différence Entre politique et prostitution. Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les assassins, Je dirai que notre siècle arabe Est spécialisé dans l'égorgement du jasmin, Dans l'assassinat de tous les prophètes, Dans l'assassinat de tous les messagers.
Même les yeux verts Les Arabes les dévorent, Même les tresses, mêmes les bagues, Même les bracelets, les miroirs, les jouets, Même les étoiles ont peur de ma patrie. Et je ne sais pourquoi, Même les oiseaux fuient ma patrie.
Et je ne sais pourquoi, Même les étoiles, les vaisseaux et les nuages, Même les cahiers et les livres, Et toutes choses belles Sont contre les Arabes.
Hélas, lorsque ton corps de lumière a éclaté Comme une perle précieuse Je me suis demandé Si l'assassinat des femmes N'est pas un dada arabe, Ou bien si à l'origine L'assassinat n'est pas notre vrai métier ?
Balkis, ô ma belle jument Je rougis de toute mon Histoire. Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux, Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux.
Balkis, depuis qu'ils t'ont égorgée O la plus douce des patries L'homme ne sais comment vivre dans cette patrie, L'homme ne sait comment vivre dans cette patrie.
Je continue à verser de mon sang Le plus grand prix Pour rendre heureux le monde, Mais le ciel a voulu que je reste seul Comme les feuilles de l'hiver.
Les poètes naissent-ils de la matrice du malheur ? Le poète n'est-il qu'un coup de poignard sans remède porté au cœur ? Ou bien suis-je le seul Dont les yeux résument l'histoire des pleurs ?
Je dirai au cours de l'instruction Comment ma biche fut tuée Par l'épée de Abu Lahab, Tous les bandits, du Golfe à l'Atlantique Détruisent, incendient, volent, Se corrompent, agressent les femmes Comme le veut Abu Lahab,
Tous les chiens sont des agents Ils mangent, se soûlent, Sur le compte de Abu Lahab, Aucun grain sous terre ne pousse Sans l'avis de Abu Lahab Pas un enfant qui naisse chez nous Sans que sa mère un jour N'ait visité la couche de Abu Lahab, Pas une tête n'est décapitée sans ordre de Abu Lahab
La mort de Balkis Est-elle la seule victoire Enregistrée dans toute l'Histoire des Arabes ?
Balkis, ô ma bien aimée, bue jusqu'à la lie !
Les faux prophètes sautillent Et montent sur le dos des peuples, Mais n'ont aucun message !
Si au moins, ils avaient apporté De cette triste Palestine Une étoile, Ou seulement une orange, S'ils nous avaient apporté des rivages de Ghaza Un petit caillou Ou un coquillage, Si depuis ce quart de siècle
Ils avaient libéré une olive Ou restitué une orange, Et effacé de l'Histoire la honte, J'aurais alors rendu grâce à ceux qui t'ont tuée O mon adorée jusqu'à la lie ! Mais ils ont laissé la Palestine à son sort Pour tuer une biche !
Balkis, que doivent dire les poètes de notre siècle ! Que doit dire le poème Au siècle des Arabes et non Arabes, Au temps des païens, Alors que le monde Arabe est écrasé Ecrasé et sous le joug, Et que sa langue est coupée.
Nous sommes le crime dans sa plus parfaite expression ; Alors écartez de nous nos œuvres de culture.
O ma bien aimée, ils t'ont arrachée de mes mains, Ils ont arraché le poème de ma bouche, Ils ont pris l'écriture, la lecture, L'enfance et l'espérance. Balkis, Balkis, ô larmes s'égouttant sur les cils du violon ! Balkis, ô bien aimée jusqu'à la lie ! J'ai appris les secrets de l'amour à ceux qui t'ont tuée, Mais avant la fin de la course, Ils ont tué mon poulain.
Balkis, je te demande pardon ; Peut être que ta vie a servi à racheter la mienne Je sais pertinemment Que ceux qui ont commis ce crime Voulaient en fait attenter à mes mots.
Belle, dors dans la bénédiction divine, Le poème après toi est impossible Et la féminité aussi est impossible.
Des générations d'enfants Continueront à s'interroger sur tes longues tresses, Des générations d'amants Continueront à lire ton histoire O parfaite enseignante ! Les Arabes sauront un jour Qu'ils ont tué une messagère QU'ILS…ON….TU…E…UNE….MES…SA…GERE.
Autour du sanctuaire sacré de La Mekke, les criminels ont imploré Dieu, lui demandant pardon de leurs péchés, afin qu'il leur remette leurs peines.
J'ai crié, à mon tour: Ô Dieu de miséricorde, ma première requête pour moi-même: Layla! afin que Tu sois son protecteur.
Si Layla un jour m'est accordée au cours de ma vie, l'intensité de mon repentir ne pourra jamais se trouver dépassée par la contrition d'aucuns des serviteurs du très-Haut.
Son approche est une oasis de fraîcheur pour mes yeux, et celui qui la dénigre augmente en moi la stupeur admirative éveillée par ma Layla!
Combien sont venus murmurer à mon oreille: Repens-toi, afin de gagner le repos! Avec obstination j'ai refusé de leur obéir. Ceci, est pas ma vie, un vêtement que je refuse de porter.
L'âme ne t'a pas quittée, ô Nuit, malgré les ténèbres dont tu l'environnes, mais c'est Layla qui te rend plus brève, ou plutôt c'est toi qui n'arrives pas à mériter la faveur de l'étreindre plus longtemps.
Patience donc, ô mon âme, et sache, par Dieu, que tu n'es point la première qui ait vu disparaître au loin ta Bien-Aimée.
MADJNOUN LAYLA
Qays ibn al-Moulawah, de la tribu des Banou-'Amir ibn Sa'sa'a, appelé Madjnoun Layla, << Le Fou de Layla >>, a laissé un ensemble de poèmes consacré à celle qu'il aimée jusqu'à en perdre la raison. Le père de Layla, refusant Qays, marie son adorable fille à Ward ibn Muhammad. L'amant erre à demi nu dans les lieux déserts, ne recouvrant un peu de sa raison que pour chanter celle dont il est passionnément épris. L'histoire de Madjnoun est devenue l'un des thèmes de la poésie mystique persane et turque. La réalité historique du personnage a été contestée. Reste l'oeuvre: celle d'un Tristan de l'Orient.
J'ai la nostalgie du pain de ma mère, Du café de ma mère, Des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, Jour après jour, Et je chéris ma vie, car Si je mourais, J'aurais honte des larmes de ma mère!
Fais de moi, je rentre un jour, Une ombrelle pour tes paupières. Recouvre mes os de cette herbe Baptisée sous tes talons innocents. Attache-moi Avec une mèche de tes cheveux, Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe... Et je serai, peut-être, un dieu, Peut-être un dieu, Si j'effleurais ton coeur!
Si je rentre, enfouis-moi, Bûche, dans ton âtre. Et suspends-moi, Corde à linge, sur le toit de ta maison. Je ne tiens pas debout Sans ta prière du jour. J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance Et je partagerai avec les petits oiseaux, Le chemin du retour... Au nid de ton attente!
S’envolent les colombes S’envolent les colombes Se posent les colombes
Prépare-moi la terre, que je me repose Car je t’aime jusqu’à l’épuisement Ton matin est un fruit offert aux chansons Et ce soir est d’or Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends Au cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage Et s’expatrient Je t’aime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
S’envolent les colombes Se posent les colombes
Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre Moi, j’appartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue Et quand mon aimé s’endort je me réveille pour protéger la rêve de ce qu’il voit J’éloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre De mes propres mains je choisis nos jours Comme il m’a choisi la rose de la table Dors, ô mon aimé Que la voix des murs monte à mes genoux Dors, mon aimé Que je descende en toi et sauve ton rêve d’une épine envieuse Dors, mon aimé Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix (…) J’ai vu le pont L’Andalousie de l’amour et du sixième sens Sur une larme désespérée Elle lui a remis son cœur Et a dit : l’amour me coûte ce que je n’aime pas Il me coûte mon amour Puis la lune s’est endormie Sur une bague qui se brisait Et les colombes se sont envolées L’obscurité s’est posée Sur le pont et les amants
Enfant est le visage de Yâfâ L’arbre flétri s’épa- nouira-t-il ? La terre entrera-t-elle dans une image vierge Qui, là-bas, ébranlera-t-il l’Orient ? La belle tempête s’est levée mais la belle désolation n’est pas encore venue Voie errante…
(Une tête délirait, se livrait à des pitreries. Portée à bout de bras elle clamait : je suis le Calife !) Ils vaguèrent, creusèrent une fosse pour le visage de ‘Alï C’était un enfant, un enfant blanc ou un enfant noir Yâfâ, ses arbres, ses chants Yâfâ… Ils ont serré les rangs, ont lacéré le visage de ‘Alî
Le sang de l’égorgé emplit les coupes. Dites : c’est un cimetière. Ne dites pas : Rose était ma poésie, elle est devenue sang. Entre le sang
et la rose, rien qu’un fil de soleil. Dites : Ma cendre est ma demeure. Ibn ‘Abbâd aiguise l’épée entre tête à tête, Ibn Jawhar est mort.
Au commencement il n’y avait qu’une racine de larmes (je veux dire mon pays) et la distance était mon fil. Je me suis dénoué et le verdoiement arabe mon soleil s’est noyé. La civilisation est civière, la ville rose païenne, tente.
Ainsi commence ou finit le récit : La distance était mon fil. J’ai rattaché mes liens, moi le cratère astral, et j’ai écrit la ville (lorsqu’on la traînait et que les pleurs étaient son rempart babylonien). J’ai écrit la ville comme suinte l’alphabet, non pour guérir les blessures, non pour ressusciter la momie, mais pour ranimer les divergences… (Le sang unit la rose au corbeau.) Pour couper les ponts et laver les visages tristes dans le saignement des siècles. J’ai écrit la ville, prophète marchant vers la mort. Je veux dire mon pays, mon pays écho, écho, écho…
Ba s’est dévoilé la tête, djim est une mèche de cheveux. J’entends ha suffoquer de sanglots et ra tel le croissant de lune s’abîmer et fondre dans les sables. Disparais, disparais, sang qui se fige et s’écoule en désert de mots. Sang qui tisse le désastre ou les ténèbres, disparais ! Abolie est la magie de ton histoire.
Accordez-nous le pardon Accordez-nous la grâce O cornes de gazelles O cils des antilopes
J’hésite, je te vois, mon pays, à chaque instant dans une image. Je te porte à présent sur mon front, entre mon sang et ma mort. Es-tu rose ou sépulture ?
Je te vois – horde d’enfants traînant leurs entrailles, Obéissant, se prosternant devant les chaînes, Revêtant à chaque coup de fouet une peau nouvelle.
Es-tu rose ou sépulture ? Tu m’as tué, tu as tué mes chants. Es-tu carnage ou révolution ?
J’hésite, je te vois, mon pays, à chaque instant dans une image. ....
Et ‘Alî la lumière. Il va, portant son histoire assassinée de cabane en cabane.
<< Ils m’ont dit que j’ai une maison comme ma maison d’Arîhâ, que j’ai des frères au Caire, que les frontières de Nâssirah sont la Mekke. >>
Comment la connaissance s’est-elle changée en chaîne ? Et la distance en feu grégeois, en victime ? Est-ce pour cela que l’histoire refuse mon visage, que je ne vois plus de soleil arabe à l’horizon ?
Ah, si tu connaissais la farce ! (Tu peux l’appeler discours du calife. Ou carnaval.) Elle a deux patrons : l’un aiguise le couperet, le second se vautre dans la poussière. Si tu connaissais la farce…
Comment ? Par où t’es-tu glissé entre la nuque du supplicié et la lame des bourreaux ? Comment ? Quoi ? As-tu été assassiné ? Tu étais comme les autres. Tu es fini, mais la farce n’en finit pas. Tu étais comme les autres. Refuse les autres !
Ils sont partis de là-bas. Commence à partir d’ici : autour d’un enfant agonisant, d’une maison qui s’écroule sous la poussée d’autres maisons. Commence à partir d’ici, de la plainte des rues, de leurs vents suffoquants, d’un pays dont le nom devient cimetière. Commence à partir d’ici, comme la tragédie ou comme naît la foudre. Es-tu mort ? Voici que tu deviens tonnerre dans le giron de la foudre, créant comme crée la foudre. Vois comment tu t’es dissous et comment tu ressuscites. Tu es fini, mais la foudre n’en finit pas.
Ton seul bien était l’ombre d’une tente. On y trouvait des haillons, parfois de l’eau, parfois du pain. Tes enfants ont grandi dans une flaque, mais tu n’as pas désespéré. Tu t’es rebellé. Tu es devenu les yeux, le rêve. Tu apparais dans une cabane sur le Jourdan, ou dans Gaza, ou Jérusalem. Tu assièges la rue en deuil puis tu la laisses dans la joie des noces.
Mer, ta voix déferlante. Montagne, ton sang jaillissant. Et quand la terre te portera jusqu’à son lit, tu laisseras à l’amant, au légataire, un double ruisseau de ton sang versé deux fois.
Enfant est le visage de Yâfâ L’arbre flétri s’épa- nouira-t-il ? La terre entrera-t-elle dans une image vierge Qui, là-bas, ébranlera-t-il l’Orient ? La belle tempête s’est levée mais la belle désolation n’est pas encore venue Voie errante…
Le passé est dans son déclin mais ne décline pas (Pourquoi le passé décline-t-il et ne décline-t-il pas ?) Dal, silhouette brisée de tristesse. (Pourquoi le passé décline-t-il et ne décline-t-il pas ?) Qaf, dans l’imminence, plus proche que portée d’arc.
Je réclame l’eau et il me donne du sable. Je réclame le soleil et il me donne une caverne.
Es-tu maître ? Tu le resteras. Esclave ? Tu le resteras.
Ainsi va le récit : Il me donne une caverne, à moi qui lui réclamais un soleil. Pourquoi le passé a-t-il décliné et ne décline-t-il pas ? Pourquoi cette terre génitrice de douleurs, cette terre monotone.
Es-tu maître ? Tu le resteras. Esclave ? Tu le resteras toujours.
Change l’image, change le drapeau ; toi, tu ne changeras pas.
…dans une géographie qui se prolonge…et se prolonge .. Le maître résidant en première page fait son entrée, monté sur une bête de la taille d’un gibet. Il se mue en statue pour remplir les places publiques. (Et l’épouse du gouverneur se lavait le croupion, tandis qu’autour d’elle des femmes chevauchaient un javelot et que des hommes enregistraient leurs battements de cœur sur un temps froissé comme un chiffon palpé entre les doigts…)
Kaf frémit sous un noyau de refus profond comme la lumière. Ta : histoire à toiture de cadavres et vapeurs de prières. Alif : potence trempée de lumière fangeuse. Ba : couteau qui décortique la peau humaine et la façonne en semelles pour pieds célestes…dans une géographie qui se prolonge…et se prolonge…
Des arbres ont des fruits la métamorphose et la migration dans la lumière. Ils sont ancrés en Palestine et leurs branches sont fenêtres. Nous avons écouté leurs distances, lu avec l’étoile des légendes. Soldats et juges dont rouler les os et les têtes. Des hommes dorment comme dort un rêve : chassés, tirés vers l’errance…
De quelle manière commencer ? (Un pain me suffira, et une cabane. Dans le soleil je trouverai de quoi me donner l’ombre. Non, je ne suis pas le casque du gladiateur. Je ne suis pas le bouclier du chef. Je suis le Jourdain. Je trie les fleurs et les séduis. Sang qui s’écoule…Je m’enfouis dans ma terre - mon sang sera son eau. Mon sang sera ce veilleur fragile : poussière mêlant l’amant errant au vent. Restera la sève…) ....
Un enfant chuchote Enfant est le visage de Yâfâ Ici est tombé le rebelle Haïfa gémit dans une pierre noire et le palmier qui a couvert Marie de son ombre pleure J’ai murmuré : la faim est dans mes talons et la terre palpite entre mes paumes Nous avons dévoilé nos secrets (chemins seront les taches des larmes) Je palpe le flanc de la lumière qui déracine le désert et l’univers ligoté avec une corde d’anges Vois-tu les traces d’un astre ? l’astre entend ma voix Je répéterai après lui et répéterai encore : Au temps des cendres, un homme jeta son histoire au braises de nos jours et mourut
(Tant que l’état subsiste, tu ne connaîtras pas la liberté.) Te souviens-tu? La prison était un chant. Te souviens-tu? (La base, le pouvoir des travailleurs...) Quel intérêt ? La révolution se dégrade, se réduit à un mot, se rallonge comme une table. As-tu la Sourate de la Table ? Un feddayin traçait son nom en lettres de feu et mourait dans les gorges glacées.
Jérusalem trace son nom. L’Etat ne cesse d’exister. L’Etat existe toujours.
Cependant, le fleuve égorgé suit son cours. Toute eau est visage de Yâfâ, toute blessure est visage de Yâfâ, et les millions qui crient leur refus sont visages de Yâfâ. Les amants sur les terrasses, dans les chaînes ou dans les tombes sont Yâfâ. Et le sang qui s’écoule du flanc du monde est Yâfâ.
Au nom de Yâfâ, Nomme-moi Qays, Nomme-moi la terre Laylâ. Au nom du peuple qui brandit le soleil en salut, Nomme-moi grenade ou fusil.
Voilà ce que je suis : (non, je n’appartiens pas au siècle du déclin) je suis l’heure du viol immense et le séisme des idées. Voilà ce que je suis. Une nuée est passée, Enceinte d’un tourbillon de folie. L’errance s’est sauvée sous ma fenêtre, disent les autres. Mais que disent les autres ?
Il veille sur le troupeau de ses paupières. Il lie l’étrange à l’étrange.
Voilà ce que je suis : je lie l’étrange à l’étrange.
Ainsi, ai-je écrit l’Histoire : Au dessus du minaret, Une lune étrille les chevaux Et dort dans les bras d’une amulette. J’ai noté : la défaite a maculé la chair des siècles, Oran est comme Kâzimiyyah, Damas est Beyrouth la vieille- Désert qui avale les saisons, sang pourri. Le feu des symboles a cessé d’engendrer les cités Et l’espace. J’ai noté : ce qui reste n’est que sang sénile à l’agonie. La défaite a maculé la chair des siècles
…dans une qui se prolonge… et se prolonge… là où le mot devient trame aux mailles criblées de trous comme du coton gonflé. Des jours porteurs de membres transpercés entrent dans une histoire vide de tout sauf d’ongles. Des triangles en forme de femme gisent entre page et page. Toute chose vient à la terre à travers le chas du mot : insecte, dieu, poète, par la piqûre, par l’insomnie et la fièvre dans la voix ; par les balles et les ablutions ; par la lune ; par la fourmi de Salomon ; par les champs qui fleurissent de banderoles sur lesquelles on a inscrit « A la recherche du pain », ou « A la recherche d’une fesse, mais en secret », ou « Le mouvement est-il dans le pas ou dans la route ? » La route est de sable. L’air se courbe au-dessus d’elle et le pas est un instant, lisse comme le galet…
Et le temps allait se projeter hors du temps, et ce que l’on appelle patrie s’asseyait sur le rebord de l’instant et frôlait la chute. « Comment la retenir ? » demanda un homme enchaîné et à demi-muselé. Pour toute réponse il reçut une autre chaîne, et une foule dense comme le sable se mit à sécréter une distance de la taille de lam, mim, alif ou de sad, ‘ayn, ya, hé, kaf, et à la piétiner, tissant étendards, tapis, coupoles, bâtissant un pont pour relier l’au-delà au monde… Une mouche passa par là et s’installa sur le mot. Aucune lettre se remuant, elle s’envola sur ses ailes déployées. Survint un enfant qui demanda où était le mot. Une épine lui poussa dans la gorge et envahit sa langue… …dans une géographie qui se prolonge…et se prolonge…
« L’ennemi gagne, eux ils perdent. Il avance, eux reculent ; il s’allonge, eux rapetissent, se réduisent à un drapeau en berne, à une voix éteinte. Et les rois s’acharnent à colmater les brèches…Quand la situation s’aggrave, l’Andalousie sollicite l’aide du bon roi pour sauver la région de Jazîrah, tombée aux mains des Espagnols. Il contente d’offrir regrets et condoléances, disant que la guerre est une compétition et qu’ils sauront bien se tirer d’affaire…L’ennemi ne cesse de les attaquer et les combattre, de jour comme de nuit. Il les chasse de leurs places fortes, les boutes hors de leurs demeures. Il les écrase et les extermine par la mort ou la captivité… » …dans une géographie qui se prolonge…et se prolonge…
Viendra un temps entre rose et cendres Où toute chose s’éteindra, Où toute chose commencera.
…je chante ma tragédie. Je ne me vois plus à la pointe de l’Histoire., sur le fil de la lame. Je commencerai, mais où ? D’où ? Comment m’expliquer, et dans quelle langue ? Celle dont je me nourris m’a trahi. Je l’attesterai et je vivrai sur la crête d’un temps défunt. Je marcherai sur la crête d’un temps qui n’est pas encore venu.
Mais je ne suis pas seul Voici la gazelle de l’Histoire. Elle ouvre mes entrailles. Le fleuve des esclaves mugit. Plus de prophète, plus de dieu… Nous venons et nous découvrons le pain Nous avons découvert une lumière qui nous guide vers la terre, découvert un soleil qui jaillit d’un poing fermé Apportez vos pioches. Nous portons Dieu tel un vieillard mourant. Nous ouvrons au soleil un chemin autre que les minarets, à l’enfant un livre autre que les anges, au rêveur un œil autre que Médine et Kûfah Apportez vos pioches Je ne suis pas seul
Enfant est le visage de Yâfâ L’arbre flétri s’épa- nouira-t-il ? La terre entrera-t-elle dans une image vierge Qui, là-bas, ébranlera-t-il l’Orient ? La belle tempête s’est levée mais la belle désolation n’est pas encore venue Voie errante…
Ils sont sortis des Livres vétustes où pourrissent les origines. Ils sont venus comme viennent les saisons. Les cendres ont étreint les contraintes, Les champs ont marché vers les champs.
Non, il n’appartient pas au siècle du déclin : Il est le séisme des idées. Il est l’heure du viol immense.
ADONIS
* Les Mulûk at-tawâ’if: rois des petites dynasties locales qui se partagèrent le pouvoir en Espagne dans la première moitié du 10 ème siècle, après la chute de l’émirat fondé par les Ommeyyades.
Le coeur s'est laissé charmer, et puis il s'est souvenu de cet amour d'enfant, qu'il ne laissait pas paraître,
Pour Zaynab qui nous offrait généreusement son âme toute limpide, Zaynab, eau pure exempte de trouble.
N'est-ce point elle qui a dit à l'une de ses servantes, auprès de qui nous même avions confié le secret:
Souhaite-lui bonne paix en le priant de chercher une autre voie, car sa présence est un danger pour nous.
J'ai envoyé ma servante à mon tour en lui disant ces mots: Garde-toi bien et porte mon message à qui de droit.
Déclare donc à ma Zaynab en termes délicats: Accorde s'il te plaît Faveurs et don gracieux à Omar.
De tant audace étonnée, elle hôcha la tête et dit: Qui donc est-il celui qui ose donner des ordres?
Est-ce bien là ta magie qui les femmes ensorcelle On me l'affirme et me voilà déjà prête à le croire.
---------------------------------------------- ZAYNAB EST SEULE MEDECIN...
Qu'a donc ce malade à cacher son mal devant les hommes? A Zaynab nous dirons son secret et ses inquiétudes.
je répondrai au médecin qui cherche à me guérir: Amène-la, tu connaîtras le mal sans m'osculter.
Si la maladie, tu ne peux la vaincre par Zaynab, dans l'art des médecins jamais plus je n'aurai confiance.
Pour elle je renoncerai à tout repos nocturne tant que le croque-mort n'aura pas redressé ma tête.
Un clair de lune a éclos dans ma triste solitude, dénudant ses ténèbres et chassant celui qui veille.
Non, je n'ai obtenu d'elle aucune chose illicite, sauf que tous deux nous a vêtus une robe rosée.
Comme deux amis, nous passons notre temps sans péché, malgré tout ce que suppose l'envieux qui nous honnit.
OMAR IBN ABI RABI'A 26/646- 93/712
C'est "incontestablement le plus grand poète arabe de l'amour" (Ruckert)-si l'on s'en tient en tout cas à la période classique. C'est aussi le chevalier galant de la société bourgeoise des villes sous les premiers khalifes. Appartenant à la branche qouraychite des Makhzoum, il fut durant un temps gouverneur de la ville de Djanad, au Yémen. Il avait assez de fortune pour pouvoir se consacrer entièrement à ses activités poétiques, qui allaient de pair avec des idylles où s'engageaient avec lui les grandes dames de l'époque. L'aventure sentimentale, scandée de rencontres et d'adieux, est pour lui à la fois un thème inspirateur et la matière même de la vie.
Abattu au combat contre la boisson enivrante, il lève à grand-peine sa tête pour boire encore, et revivre, alors que sont morts ses os n'en pouvant plus et que ses jointures crient grâce.
Quelquefois nous le soutenons, entre nous chancelant, mais souvent c'est un cadavre que nous traînons, privé dirait-on du pouvoir de recouvrer avant le dernier soupir son esprit égaré.
Quand on soulève sa pointure au sol bien étalée, elle semble soudain peser beaucoup plus que son poids; veut-on alors le ramener chez lui, qu'il faut le jeter sur son dos, tel le sac de portfaix! ------------ LA RUE
Front baissé, ils traînent sur le sol des charges pesantes qu'on prendrait pour autant de cadavres raidis, longs ballots rigides évoquant des corps noircis, objets nus qu'on aurait négligé de vêtir.
Je leur ai dit: Compagnons, éclairez-moi donc! sinon, qu'il n'y ait plus de père à votre père! et eux de déposer leurs fardeaux dans l'instant pour m'obliger et m'expliquer leurs étranges façons.
Ainsi marche la foule, piétinant alentour des fiers cavaliers qui émergent de sa masse, légions de fourmis renversées sur le sol, épousant savammant les méandres du sable. ------------- ELOGE DES OMAYYADES
Groupe assemblé pour défendre le droit, répugnant à l'indecence des mots, fuyant la honte, il s'arment de patience quand les difficultés leur font obstacle.
Soleil d'inimitié, jusqu'à l'heure où l'on se range sous leur bannière. En bonté, les plus illustres de ceux qui ont accédé au faîte de la puissance.
AL-AKHTAL
Poète chrétien, appartenant à la tribu des Taghlib, il fut le chantre de la dynastie des Omayyades. Ses moeurs étaient celles d'un poète, et il ne se défendait ni de fréquenter les chanteuses ni de boire du vin. Cependant il portait fièrement sa croix d'or au cou et participait avec sa tribu au pèlerinage du sanctuaire de Saint-Sergius. Il resta fidèle toute sa vie à la vie nomade, refusant non sans insolence le confort de la Cour de Damas. Ses poèmes sont plus travaillés que ceux de ses collègues Djarîr et Al-Farazdaq, avec lesquels il mena la guerre des rimes. Dignité farouche, fierté arrogante du bédouin, intégrité morale, telles furent ses qualité d'homme et de poète. Plus proche de l'ivrogne tombé, somme toute, que du passant des villes affairé à de basses besognes, ainsi qu'il est montré ici.