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L'anthracose : La maladie qui décime les mineurs de Jerada

Au delà des conséquences socio-économiques engendrées par la fermeture des mines de charbon de Jerada, un autre héritage pèse sur la vie des mineurs et de leurs familles : la santé. Les «gueules noires» ont développé des pathologies pulmonaires, souvent des insuffisances respiratoires conduisant à la mort. Une des maladies des ouvriers restés très longtemps au contact des particules de charbon s'appelle l'anthracose. Diagnostic.

Photo d'illustration./DR
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La fermeture officielle des mines de charbon à Jerada  semble a été un cataclysme pour l’économie de la ville provoquant un exode marqué de la population. Pourtant, bien avant cet acopalypse du charbon, un mal sourd décimait les ouvriers ou anciens mineurs de la ville. Les années passées au contact de la poussière de charbon ont grandement impacté leur santé. Les ouvriers souffrent encore aujourd’hui de pathologies pulmonaires, à l’instar de l’anthracose, qui touche ceux qui ont été au contact des particules de charbon.

Rachid Essaltani est le fils d'un des nombreux mineurs ayant succombé cette maladie. «Aujourd’hui, je suis membre d’un collectif de travailleurs et de fils de mineurs souffrants ou morts des suites de maladies professionnelles, comme la silicose ou l’anthracose», déclare-t-il dans un entretien avec Yabiladi.

La perte d'un père

Jerada souffre de nombreux maux, «pauvreté, vulnérabilité et isolement y sévissent depuis la fermeture de Charbonnage du Maroc en 1998», indique Rachid. Après leur licenciement économique, les travailleurs ont été indemnisés, mais c’était loin d’être suffisant. «Les anciens mineurs ont été confrontés plus tard à cette dure réalité : Jerada ne servait plus à rien, sans l’activité minière», déplore-t-il.

Aujourd’hui, tous les anciens mineurs semblent avoir contracté une insuffisance respiratoire, due à l’anthracose, communément appelé «silicose» dans la région, en référence à une autre pathologie similaire. «Quand le mineur a environ 50 ans – parfois 40 – il devient dépendant des dispositifs artificiels pour l’assister dans sa respiration», poursuit Rachid. «L’ouvrier souffre été comme hiver», déclare-t-il. Une misère supplémentaire qui vient s’ajouter à sa situation financière vulnérable.

Face à la détérioration de leur état de santé, les travailleurs licenciés ne sont pas restés les bras croisés. Ils ont intenté de nombreuses actions en justice dont quelques unes ont abouti. «Les indemnisations sont en fonction du degré d’impact sur la santé. Mais l’argent qu’ils reçoivent représente une bouchée de pain. Ils ont contribué à faire fleurir l’économie du pays et ont sacrifié leur santé pour finalement être traités de la sorte», déplore celui dont le père n’a pas réussi à obtenir réparation. «L’entreprise a cessé ses activité et a lésé toute une génération de travailleurs», constate-t-il avec amertume.

Si Jerada semble avoir été désertée par de nombreuses familles, des centaines de veuves y résident encore. «Elles sont payées 400 dirhams par mois, c’est tellement insuffisant, ce n’est rien», raconte-t-il. En effet, si les salariés des autres secteurs ont vu leurs salaire s’accroître, il n’en est pas de même pour le secteur minier qui demeure une profession marjinalisée. «Aujourd’hui, nous revendiquons tous les droits dont nous avons été privés depuis toutes ces années. Une famille ne peut pas vivre avec 400 DH par mois. C’est une blague !», s’insurge-t-il.

«Certains mineurs souffrent encore en silence. Ils s’attendent à recevoir leurs allocations de retraite mais rien n’a été encore fait. Notre collectif a soumis une liste de demandes au ministère de l’Energie et des mines. Nous attendons leur réponse.»

Au-delà des frontières de Jerada

«Quand les mines de Jerada ont fermé en 1998, nous avions quitté la ville. Nous nous sommes installés à Marrakech, car mon père avait reçu une indemnité financière pour toutes ces années de bons et loyaux services auprès de Charbonnage du Maroc, l’entreprise qui exploitait les mines de Jerada, raconte Amina, fille d’un mineur ayant eu quatre accidents de travail. Malheureusement, les compensations financières étaient minimes et on ne les percevait que trimestriellement».

Son père est décédé avant d’atteindre l’âge légal de retraite. «Les médecins lui ont diagnostiqué une anthracose quand il était encore ouvrier à Jerada. Il était conscient qu’il allait développer cette pathologie, car aucun de ses collègues n’en ont été épargnés», enchaîne Amina. Son père a commencé à s’affaiblir pendant qu’ils vivaient à Jerada. «Son état s’est gravement détérioré en 2012 à Marrakech, où il est décédé la même année», regrette-t-elle, ajoutant que plusieurs employés de la mine ont laissé des veuves derrière eux.

Anthracose / DRAnthracose / DR

La famille du défunt n’a obtenu aucune aide. Durant ses derniers jours de vie, le défunt n’a pas été assisté financièrement pour traiter sa maladie professionnelle. «Nous avons dépensé tout l’argent que nous avions pour soigner mon père. Les autres mineurs restés à Jerada ont pu être traité gratuitement. Or, ce n’était pas le cas pour ceux qui ont choisit de quitter la ville ouvrière», confie Amina.

Après la mort du père de Amina, sa mère a dû intenter un procès au tribunal de Marrakech pour recevoir ses droits. Quarante jours après le triste évènement, la mère a pu percevoir son premier versement, qui vient s’ajouter à la pension de retraite. Mais Amina essaye de rester positive : «Nous sommes en mesure de vivre dignement avec les deux rentrées d’argent que nous percevons». Malheureusement, plusieurs autres veuves n’ont pas encore eu gain de cause. «Notre voisine n’a toujours pas réussi à obtenir son argent et celui de ses enfants», regrette-t-elle.

Dix-huits ans après la fermeture de l’entreprise exploitant les mines de charbon de Jerada, les anciens mineurs impactés financièrement et physiquement espèrent encore faire valoir leurs droits. De nombreuses familles ont engagé des actions en justice, d’autres, dans un geste de désespoir, ont décidé d’investir les rues pour obtenir gain de cause. 

Comprendre l’anthracose

Interrogée par Yabiladi sur l’anthracose, maladie professionnelle développée par les mineurs exposés au charbon, Soumaya Mouline, professeure à l’Université internationale Abulcasis des sciences de la santé à Rabat, déclare : «Il s’agit d’une atteinte due à l’inhalation de microorganismes minéraux, dans le cas des mineurs de charbon, ces derniers développent ce qu’on appelle l’anthracose».

«L’interstitium pulmonaire, autrement dit, le tissu de soutien du poumon qui se trouve entre les parois des alvéoles pulmonaires, est touché en premier», affirme-t-elle. En effet, les bronches ainsi que les alvéoles où se déroulent les échanges gazeux à travers le sang baignent dans ce tissu-là.

Ce dernier est principalement touché, car les particules de charbon inhalées par l’ouvrier s’y déposent continuellement. «Au bout de plusieurs années de travail et donc d’exposition, une insuffisance respiratoire se développe», affirme la praticienne, également médecin à l’hôpital universitaire international Cheikh Zaid.

Si ce processus prend parfois de nombreuses années avant d’aboutir sur une pathologie, il peut néanmoins être accéléré chez les fumeurs. «Cela représente un facteur de risque en plus pour les bronches et précipite l’insuffisance respiratoire», décrypte Dr. Mouline.

En conséquence, l’anthracose réduit sensiblement la qualité et l’espérance de vie. «A très long terme, un mésothéliome (cancer de mauvais pronostic des surfaces mésothéliales, qui affecte le revêtement des poumons) peut se développer, mais également un cancer bronchique ainsi que tous les cancers de la sphère ORL», déplore la pneumologue en signalant l’absence de port de masque permettant de filtrer les poussières sur le lieu de travail.

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