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Un différend immobilier à l'origine du décès d'un prisonnier en grève de la faim

El Ghazi Khelada, âgé d’une quarantaine d’années, a rendu l’âme hier à l’hôpital régional de Beni Mellal. Son état s’était fortement aggravé après plus de 3 mois de grève de la faim, qu’il avait entamée suite à une affaire l’opposant à un entrepreneur immobilier. Détails.

Ce matin a eu lieu un sit-in pour dénoncer l'injustice qu'a subie El Ghazi Khelada. / Ph. Facebook
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Mercredi 2 août 2017 est une date qui restera gravée dans la mémoire de la mère, de la veuve et de la fille d’El Ghazi Khelada. Et pour cause, ce quadragénaire est décédé après plus de 90 jours de grève de la faim, s’abreuvant seulement d’eau sucrée. Habitant du Douar Ouaouizerth, dans la province d’Azilal, son état était devenu très critique.

A l’origine de cette grève, une série de péripéties qui l’ont contraint, pendant des mois, à lutter pour se voir rendre justice. En effet, les prémices de cette longue bataille judiciaire se résument à un différend immobilier. D’après Abderrahim Majdi, président de l’antenne de Beni Mellal de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), et selon le dossier que le défunt leur avait fait parvenir, «la victime vivait dans un endroit où une route lui permettait d’accéder à son domicile, et ce depuis toujours. Dans les années 1960, cette famille empruntait déjà ce chemin pour rentrer chez elle».

Cela dit, il y a quelques mois, un entrepreneur immobilier aurait acheté un terrain à proximité de la maison d’El Ghazi Khelada. Le nouvel acquéreur aurait entamé une procédure d’enregistrement de son titre foncier, une formalité sur laquelle il a également introduit la route, devenant ainsi le théâtre de toutes les discordes. Abderrahim Majdi se désole : «L’acheteur s’est rendu à la conservation foncière et a obtenu des papiers en règle. Cette route lui revient donc, alors même qu’elle ne faisait pas partie de son acquisition. D’où une certaine complicité des autorités locales et des administrations.»

Le début d’un long périple

«Le dossier que nous avons en notre possession montre que la sortie des techniciens de la conservation foncière s’est faite de nuit, preuve à l’appui. Or, c’est interdit. Ça doit être fait en journée pour la clarté des limites des terrains», assure Abderrahim Majdi. Empêché durant des semaines de rentrer chez lui, El Ghazi Khelada a décidé de déposer plainte. Un premier pas qui n’apportera pas le résultat escompté, et des allers et venues au commissariat qui se sont multipliés et l’ont usé.

C’est alors qu’il a décidé de vivre dans une tente en signe de protestation pendant six mois. Il a été arrêté et détenu pendant une semaine avant d’être relâché, ce que n’hésite pas à souligner l’associatif, qui pointe une détention arbitraire:

«Le mettre en détention pendant une semaine prouve bien qu’il y a anguille sous roche.»

Au bout de six mois de mobilisation, en avril, il est arrêté dans son habitat de fortune et directement transféré en détention provisoire  à la prison locale de Beni Mellal pour destruction d’un pont avec son frère.

Lors de la mobilisation de ce matin, des photos du défunt faisaient partie du cortège. / Ph. FacebookLors de la mobilisation de ce matin, des photos du défunt faisaient partie du cortège. / Ph. Facebook

Il entame ainsi une grève de la faim pour faire entendre ses revendications : «Il voulait seulement qu’on puisse le présenter au parquet général pour qu’il explique la vérité sur son dossier, compte tenu de l’injustice qu’il a subie, ce qu’on lui a refusé», relate Abderrahim Majdi.

«Si on ne me rend pas justice, ne m’enterre pas !»

Le défunt a cessé de s’alimenter pendant plus de 90 jours, ce qui lui a valu de graves séquelles : «Son état était devenu très critique. Il a perdu la vue, ses fonctions rénales ont été fortement impactées et la faiblesse de ses os ne lui permettaient pas de bouger son corps», détaille le représentant local de l’AMDH.

L’administration pénitentiaire a statué sur son transfert dans un établissement hospitalier samedi dernier. Il a été admis à l’hôpital régional de Beni Mellal, jusqu’à hier lorsqu’il est décédé dans son lit d’hôpital.

«Touda, la mère de la victime, m’a confié que son fils, avant de mourir, a acheté son propre linceul car il savait que sa fin approchait. Il lui a fait part d’une dernière volonté. Il lui a dit : ‘si on ne me rend pas justice, ne m’enterre pas !’»

A l’heure actuelle, le corps d’El Ghazi Khelada est toujours à la morgue de l’hôpital. Abderrahim Majdi n’hésite pas à rappeler que «son frère a été condamné à un an de prison la semaine dernière. Il a également entamé dans la foulée une grève de la faim. Notre crainte aujourd’hui est que le scénario se répète encore une fois».

Ce matin, plusieurs associations des droits de l’homme ont organisé un sit-in devant la cour d’appel de Beni Mellal, fustigeant des slogans contre la «hogra» dont a été victime le quadragénaire. «En tant qu’association, nous demandons l’ouverture d’une enquête dans cette affaire depuis le début», conclut Abderrahim Majdi. Un sit-in lors duquel la famille du défunt a été présente, notamment son épouse qui n’a pas supporté la pression et a été transportée aux urgences après avoir perdu connaissance.